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Sam, Nov
lundi, 17 février 2014 00:00

ENTRETIEN AVEC... - Le ministre-conseiller du Président : pr Ismaïla Madior Fall corrige la CNRI

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Le ministre-conseiller juridique du chef de l’Etat estime que la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) a «outrepassé ses attributions». Dans cette première partie de l’entretien, Pr Ismaïla Madior Fall «réforme» la… réforme de la Commission Mbow.

La Cnri vient de déposer son rapport accompagné d’un avant projet de Constitution. Quelle appréciation en faites-vous ?
L’appréciation doit se faire avant tout au regard du décret portant création de la Cnri. Il convient de rappeler à cet égard le décret n° 2013-730 du 28 mai 2013 portant création de la Cnri, seul texte de référence définissant la mission de la Commission. 

Ce décret dispose en son article premier : «La Commission nationale de réforme des institutions est chargée de mener, selon une méthode inclusive et participative, la concertation nationale sur la réforme des institutions ; de formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’Etat de droit et à moderniser le régime politique.» Et l’article 3 du même décret d’ajouter : «Les réformes proposées peuvent trouver leur traduction dans une modification de la Constitution, des lois organiques et des lois ordinaires.» A ce niveau, il n’est nulle part question de proposition d’une nouvelle Constitution. Cela va donc de soi : la Cnri est allée au-delà de son mandat. Elle a outrepassé ses attributions. Il faut peut-être le mettre au compte de la générosité de ses membres, de leur volonté de bien faire, mais la décision de proposer un avant projet de Constitution est dépourvue de base juridique et viole l’article 3 dudit décret qui évoque une simple modification de la Constitu­tion et des lois en vigueur. Cet article 3 lie tout le monde : la Cnri et le président de la République. Cela veut dire que même si le chef de l’Etat était animé par la volonté d’accepter l’avant projet de Constitution, il ne peut juridiquement le faire, obligé qu’il est de se tenir à la seule perspective de modification ou de révision de la Constitution et des lois. La Cnri devait se limiter à tirer les enseignements de son analyse de la pratique institutionnelle sénégalaise et à formuler, dans le cadre d’un rapport de réforme des institutions, les recommandations pertinentes en indiquant, si possible, les dispositions de la Constitution et des lois devant subséquemment faire l’objet de modification.

Si on vous suit bien, on peut dire que le travail de la Cnri ne sert à rien et qu’il faut le brûler…
A ce niveau, il faut distinguer la forme et le fond. Sur la forme, d’abord, encore une fois, il est juridiquement impossible à la Cnri de proposer une nouvelle Constitution, à moins qu’elle ne considère pas le décret qui la crée ; ensuite, une nouvelle Constitution est inopportune dans le contexte du Sénégal. Il faut rappeler que la réforme des institutions envisagée par le Président Macky Sall intervient dans le contexte d’un pays démocratique doté d’une Cons­titution adoptée par le Peuple sénégalais en 2001 et dont les dispositions sont conformes aux normes et standards démocratiques universels. Aussi, le Sénégal n’est-il pas dans une situation de crise, de rupture ou de révolution nécessitant une refondation de l’Etat et de l’ordre constitutionnel. A cet égard, la volonté politique clairement exprimée par le président de la République est de changer la Constitution sans changer de Constitution, de changer la Républi­que- pour en consolider les acquis et en améliorer le fonctionnement- sans changer de République. Rien ne justifie donc le remplacement de la Constitution en vigueur par une nouvelle Constitution. Même les changements proposés peuvent être opérés par le biais d’une révision constitutionnelle. Autrement dit, la mise en œuvre des innovations suggérées par la Cnri, que le Président jugera pertinentes, ne doit pas induire la perturbation de notre architecture constitutionnelle et le remplacement de la Constitution actuelle par une nouvelle. En outre, il est temps, dans notre pays, de déconnecter l’avènement d’un homme à la Présidence avec l’adoption d’une nouvelle Constitution. Il faut éviter que chaque Président ait sa Constitution car cela ne facilite pas la nécessaire dépersonnalisation de la Constitution et l’approfondissement de l’institutionnalisation du pouvoir. C’était mon point de vue au lendemain de l’alternance de 2000. C’est aujourd’hui aussi mon point de vue. Si l’on acceptait cette idée d’une nouvelle Constitution, on en serait à la 5ème après celles de 1959, 1960, 1963 et 2001. Dans le fond, si on veut «positiviser» les choses- parce qu’il le faut bien- le travail de la Cnri n’est pas à brûler. Il faut considérer qu’il s’agit de propositions qu’il appartient au président de la République d’apprécier pour en identifier celles qui cadrent avec sa vision politique et paraissent pertinentes dans la perspective de la modernisation du régime politique sénégalais.
 
Quelles sont les propositions qui vous paraissent pertinentes ? 
L’avant projet de Constitution contient quelques innovations intéressantes qui pourraient être introduites dans la Constitution en vigueur par le biais d’une simple révision constitutionnelle. 
Il s’agit notamment de l’introduction dans la Constitution de quelques principes de bonne gouvernance, des devoirs des citoyens (section 2 du Titre II) ; la participation des candidats indépendants à tous les types d’élection, mais avec un encadrement rigoureux, surtout pour les Locales parce que c’est déjà le cas pour les Législatives et la Présidentielle ; la restauration du quinquennat et l’établissement d’un âge plafond (70 ans) pour être candidat à la Présidentielle (article 59) ; l’interdiction faite au Président de ne pas participer à une campagne électorale d’une élection à laquelle il n’est pas candidat (article 65) ; l’éclatement de la Cour suprême pour restaurer la spécialisation des juridictions suprêmes peut être envisagée (Titre V) comme ce fut le cas entre 1992 et 2008 ; la soumission du droit de grâce à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature ; la clarification des conditions de la déchéance d’un député démissionnaire de son parti (article 82) ; l’initiative populaire législative (article 94), mais encadrée ; la création d’une Cour constitutionnelle (section 2 du Titre V) ; la possibilité de soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour d’appel (article 110) ; la possibilité pour les Commissions parlementaires d’auditionner les directeurs des établissements publics, des sociétés nationales, des agences d’exécution et des autorités administratives indépendantes, mais avec l’autorisation du président de la République ; les contraintes procédurales introduites pour rendre plus difficile la révision de la Constitution et empêcher les révisions déconsolidantes ; et là, personnellement j’applaudis.

Quelles sont alors les propositions que vous jugez non pertinentes ? 
L’avant projet de Constitution contient des propositions irrecevables parce que ne répondant à aucun besoin endogène de notre dynamique institutionnelle ; des propositions tirées d’autres pays africains sortant de régimes autoritaires et donc en deçà du standing démocratique du Sénégal ; et des propositions inacceptables parce que susceptibles de mettre en péril les grands équilibres du régime politique sénégalais qui nous ont mis à l’abri de l’instabilité politique chronique caractéristique des pays africains. Elles sont très nombreuses, je voudrais en citer pêle-mêle quelques unes : la proclamation surabondante des droits économiques et sociaux comme le logement dans le contexte d’un Etat pauvre comme le Sénégal (article 36 et suivants), l’option rédactionnelle consistant à surcharger la Constitu­tion de principes et techniques qui ont leur place dans les lois et règlements (Titre I et Titre II), l’obligation imposée à l’Etat de mener systématiquement la concertation avec les secteurs directement concernés de la Nation pour tout projet d’acte juridique ou de décision portant orientation ou réorientation des options fondamentales des politiques publiques (article 9), l’érection en règle générale de l’appel à candidature pour la nomination aux fonctions de direction des organismes du secteur parapublic et des Autorités indépendantes (article 12). Pour certains postes on peut comprendre, mais pour tous les postes visés, cela n’existe dans aucun pays. 

Quid de la proposition de non cumul chef de l’Etat-chef de parti ?
L’interdiction faite au président de la République d’être chef de son parti dans le contexte d’un régime présidentiel où le Président peut solliciter un second mandat (article 64) ne nous paraît pas pertinente…

Pourtant cette question est une vieille revendication au niveau de la classe politique
Oui, mais il ne faut pas se faire d’illusion. Personnellement, j’ai écrit dans mon ouvrage Evolution constitutionnelle du Sénégal, publié en 2007, qu’il s’agit d’un faux problème. Cette disposition n’est pas réaliste dans le régime politique sénégalais. Elle a toujours existé sous Senghor et Diouf sans jamais être respectée. Wade en a constitutionnalisé la possibilité. En effet, il est difficile d’envisager, dans le cadre d’un régime présidentiel comme le nôtre où le Président est candidat à un second mandat pour pouvoir réaliser son programme, d’exiger de lui qu’il ne soit pas chef de parti. Même s’il ne l’est pas formellement, il le demeurera toujours dans la réalité des choses. Il faudrait donc privilégier la solution réaliste consistant à laisser le choix au Président d’être ou non chef de son parti et compter sur son comportement et son éthique pour garder, vis-à-vis de son parti, la distance nécessaire à l’exercice républicain du pouvoir. 

A suivre…

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SOURCE: http://www.lequotidien.sn/index.php/la-une2/6568-entretien-avec-le-ministre-conseiller-du-president--pr-ismaila-madior-fall-corrige-la-cnri

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