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Sénégal : Oui, les crimes qu’il accumule depuis le 2 avril 2012 sont bien assimilables à la haute trahison

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Dans ma contribution du mardi 26 mai 2020, j’ai rappelé quelques forfaits, quelques crimes de la sombre gouvernance du président-politicien. Je me suis en particulier attardé sur le sort peu enviable qu’il réserve aux organes de contrôle alors que, conformément à ses engagements, ils devraient être au cœur de sa gouvernance.

Dans le contexte de pillage systématique des deniers publics que nous vivons, les corps de contrôle devraient être constamment sur le terrain. Nous avons, en particulier, besoin de l’Inspection générale d’État (IGE) pour faire la lumière sur la gestion dans de nombreuses structures. Nous ne savons jusqu’ici rien, ou presque rien du rapport de l’Inspection générale des Finances sur la gestion du Programmes des Domaines agricoles communautaires (PRODAC). Il y est question de malversations portant sur 29 milliards de francs CFA. L’un des responsables, ou protagonistes, se la coule douce à côté du président-politicien comme ministre chef de cabinet[1]. Les gestions respectives du Centre des Œuvres universitaires de Dakar (COUD), de la Société nationale de la Poste et des Caisses d’Épargne (SNPCE), de la Société nationale des Habitations à loyer modéré (SNHLM), du Port autonome de Dakar (PAD) surtout du temps du très ‘’généreux’’ Cheikh Kanté qui distribuait à bout de bras des dizaines de millions de francs et de pratiquement toutes les autres structures qui ont à leur tête des politiciens, livreraient beaucoup de secrets si elles avaient l’objet d’une inspection indépendante et objective[2]. C’est ce qui devait se faire régulièrement si le président-politicien était un homme de parole. N’est-ce pas lui qui, lors d’une visite officielle en juillet 2013 au Burkina Faso, et recevant à l’occasion la communauté sénégalaise établie dans ce pays, leur tenait ce langage sans équivoque (du moins en apparence) : « Il faut que les gens comprennent que désormais, ceux qui ont des responsabilités doivent s’attendre à en rendre compte demain, à commencer par le président de la République lui-même». Poursuivant son cinéma, il ajoute : « Les ministres, les directeurs généraux, chacun, selon son niveau de responsabilité, doit s’attendre à rendre compte des moyens qui sont mis à sa disposition et de ce qu’il en a fait. »

Est-bien le président-politicien qui parlait ainsi, serait-on tenté de dire ? Oui, c’est bien lui, et nous connaissons la suite. Á tous les niveaux de l’Administration, les gestionnaires de deniers publics se livrent, impunément, à toutes sortes de malversations. Il suffit, pour en avoir le cœur net, de se reporter aux ‘’Rapports publics sur l’État de la Gouvernance de la Reddition des Comptes’’ (2013, 2014, 2015), à ceux de la Cour des Comptes ou, à un moindre degré de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP). Dans mes différentes contributions, j’ai donné comme exemples nombre de cas flagrants de pillages de nos maigres deniers restés impunis. Il me revient un exemple de gestion calamiteuse, scandaleuse d’une société nationale, en l’occurrence la Société d’Aménagement des Terres de la Petite Côte (SAPCO).

Le Quotidien ‘’Enquête’’ du 7 février 2017 a exploité le dernier rapport de l’ARMP à ce moment-là. Ayant fouillé ‘’en profondeur’’ da la gestion de la SAPCO, le quotidien titre, à la ‘’Une’’ de ce jour : « Un gouffre à milliards ». Le Quotidien a interviewé le Directeur général qui se serait enfoncé en tentant péniblement de se justifier. Par exemple, à la question de savoir « pourquoi l’augmentation du salaire du Directeur général à 3 millions et celui du Président du Conseil d’administration (PCA) à 2 millions alors que la société était sous perfusion », notre Directeur général répond, au grand étonnement du journaliste : « Il n’y a pas eu d’augmentation. Mon prédécesseur avait augmenté son salaire, il gagnait 5 millions. Moi, quand je suis arrivé, je l’ai ramené à 3 millions. Le salaire du PCA, je l’ai remis à son niveau, c’est-à-dire 2 millions. »

« Aussi simple que ça », lance le journaliste étonné. Dans cette gouvernance « sobre, transparente et vertueuse » du président-politicien,  « ce sont les directeurs qui augmentent ou diminuent à leur guise les salaires ». Le rapport de l’ARMP met en évidence nombre d’autres cas flagrants de très mauvaise gestion. Pourtant, le même Directeur général y est encore en service et continue probablement ses massacres de nos deniers qui caractérisent la gestion de pratiquement toutes les sociétés nationales. Parmi elles, il y en a qui n’ont jamais fait l’objet d’une inspection depuis huit ans.

 Pour revenir à son voyage au Burkina, le président-politicien poursuit son cinéma en déclarant : « Ma première mission n’est pas de construire des routes, autoroutes et ponts, mais de reconstruire l’État de droit. Or l’État de droit, on va l’apprécier de façon immatérielle» Comme d’habitude, il raconte manifestement des histoires : il dit exactement le contraire de ce qu’il fait. Oui, il construit des routes, des autoroutes, des ponts, des arènes, des centres de conférences, etc. Des infrastructures qui nous coûtent les yeux de la tête à force d’être fortement surfacturées, des infrastructures bien plus de prestige que de développement, et ayant pour objectif prioritaire de frapper l’imagination des populations, analphabètes pour la majorité d’entre d’elles.

Quant à l‘État de droit, il l’a écrabouillé. Peut-être que le mot peut paraître trop fort, pour certains. Il l’a en tout cas malmené et mis à sa disposition exclusive. Tout part de lui et tout revient à lui. L’État de droit, c’est d’abord l’équilibre des pouvoirs. Or, lui, veille jalousement sur le sien, piétine tous les autres, les réduit à leur plus simple expression et les met exclusivement à son service politicien.

Devant ses hôtes burkinabe, il a encore le toupet de déclarer, sans état d’âme : « L’État de droit, ce sont des valeurs, des principes ; c’est l’égalité des citoyens devant la loi, la lutte farouche contre la corruption. » Cet homme ose-t-il parler de valeurs, de principes, d’égalité des citoyens devant la loi, de lutte farouche contre la corruption ? Égalité des citoyens devant la loi ? Demandons à Ababacar Khalifa Sall ce qu’il en pense ! Lutte farouche contre la corruption ? Réveillons les vingt-cinq (25) dossiers de l’OFNAC qui dorment sur la table du Procureur de la République, et demandons-leur où ils en sont avec la justice ! Faisons-en autant avec les nombreux autres qui souffrent sous le coude du président-politicien !

Pour qui ce président-politicien nous prend-il vraiment ? Dès le lendemain du 2 avril 2012, il a commencé à réfléchir sur les stratégies à mettre en place pour sa réélection en 2019. C’est d’abord l’administration qu’il a politisée à outrance pour y placer ses pions. Il a pensé ensuite aux grands bassins électoraux que sont Dakar, Guédiawaye, Pikine, Rufisque, Saint-Louis, etc. La capitale nationale ayant farouchement résisté lors des élections locales du 22 mai 2014, il dégage le terrain à Guédiawaye, à Pikine et à Saint-Louis[3], pour y faire élire respectivement son frère, son oncle (ou cousin) et son beau-frère, qui étaient tous d’illustres inconnus avant le 26 mars 2012. Á Rufisque, il nomme le beau-père de son épouse Président du Conseil d’administration de PÉTROSEN (il a quitté récemment la station). Il nommera ensuite son frère à la tête de l’une des plus importantes directions du Sénégal : celle de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Il avait pourtant déclaré devant toute la Nation sénégalaise qu’il ne prendrait jamais un décret pour le nommer à quelque poste que ce soit. Les autres directions, agences, ambassades, consulats sont remplis de ses frères, sœurs, neveux, nièces, cousins, cousines, amis, sans compter ceux et celles de sa distinguées épouse.

Arrêtons-nous sur les différentes de nominations de Mansour Faye et de Mme Anta Sarr Diacko. Illustre inconnue, Madame a été nommée Ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, dans le Gouvernement de Mme Aminata Touré de septembre 2013. Sa première sortie, catastrophique par son discours en français, a été réservée à Koki, à l’occasion des retrouvailles annuelles de l’Institut islamique. Votre serviteur était présent. Elle était loin d’avoir le profil de l’emploi. D’ailleurs, au lendemain de sa surprenante nomination, elle se heurtait à une question de L’Observateur, à savoir sur quelle base elle a été nommée ministre. Elle répondait naïvement ceci : « Je ne saurai dire pourquoi j’ai été choisie ». Les journalistes font leurs investigations et trouvent la bonne réponse : son époux, alors sous-préfet de Sangalkam, est le cousin germain du président-politicien. « Leurs deux mères sont des sœurs », révèle le journal. Malgré tout, elle quittera le Gouvernement où elle était manifestement mal à l’aise. Membre de la Dynastie, elle ne chômera pas longtemps : elle sera nommée Déléguée générale à la Protection sociale et à la Solidarité nationale, ce qui n’était quand même pas rien. Mais, suite à la publication du rapport 2017 de l’Autorité de  Régulation des Marchés publics (ARMP) qui a révélé un scandale d'un milliard de francs CFA puisé dans les crédits alloués aux bourses de sécurité familiale pour financer un marché nébuleux d'achat de 700 tonnes de riz à distribuer dans les différentes familles religieuses, elle a été relevée de ses fonctions le 18 décembre 2019 (seneweb, jeudi 19 décembre 2019). Mais, comme elle est de la dynastie, le président-politicien la remettra en selle en la nommant, à l’occasion du Conseil des ministres du 20 mai 2020, Présidente du Conseil d’Orientation du Fonds de l’Habitat social, au Ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique.

Intéressons-nous à cet autre membre de la Dynastie, et pas des moindres : Mansour Faye. Beau-frère du Président-politicien, il sera d’abord nommé Délégué général à la Protection sociale et à la Solidarité nationale le 13 mai 2012. Un quotidien se pose la question de savoir s’il n’y aura pas alors de risques de ‘’collision familiale’’ entre la Délégation générale et la Fondation ‘’Servir le Sénégal’’ de la première dame, la petite sœur. Mansour Faye est ensuite nommé Ministre de l’Assainissement de l’Hydraulique puis, en juillet 2019, Ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale. Ce Ministère est le plus lourd de tout le gouvernement. Sans état d’âme, de façon indécente, et dans l’indifférence générale, le président-politicien met sous sa tutelle tous les projets, agences et programmes à centaines de milliards. Ce sont :

- la Délégation générale à la Protection sociale et de la Solidarité nationale (DGPSSN) ;

 - l'Agence nationale de la Couverture Maladie Universelle (ANACMU) ;

- le Programme d'Urgence de Développement communautaire (PUDC) ;

- le Programme d'Urgence de Modernisation des Axes et Territoires transfrontaliers (PUMA) ;

- le Programme de Modernisation des Villes (PROMOVILLES) ;

- l’Agence nationale de la Couverture Maladie universelle.

On disait de Karim Wade qu’il était le Ministre du ciel et de la terre. Le frère chéri de la première dame est Ministre du ciel, de la terre et des eaux. Peut-être même de l’air que nous respirons.

L’État, la République, sont pratiquement devenus, pour le président-politicien, une affaire privée. Il en dispose comme il veut. En plus de placer sa famille et sa belle-famille au cœur de l’État, il prend des décrets scélérats, qui sont des insultes pour le peuple. C’est ainsi qu’il a gracié un trafiquant notoire de faux médicaments alors que l’appel que le délinquant avait interjeté était en cours. Il nous a encore poignardés dans le dos en prenant le ‘’faux-vrai’’ décret qui accorde des avantages exorbitants à ces deux personnes dont on se demande vraiment pourquoi. Le Pays leur a tout donné, ils ont tout pris au pays. En retour, que lui ont-ils donné ? Parmi nous, il y en a qui suivent la gouvernance du pays depuis les années 70-80. Ils savent qui est qui et qui a fait quoi. Ce texte est déjà long et ne me permet pas de rentrer dans les détails. Pour ne donner qu’un exemple, en six ans, la présidente ‘’honoraire’’ du Conseil économique, social et environnemental (CÉSE) a grillé quarante-deux (42) milliards à son seul profit, à celui de ses proches et des plus de cent (100) recasés du président-politicien. Personne ne peut nommer un seul profit que le Sénégal a tiré de sa gestion scandaleuse ? On peut remonter bien plus loin pour donner d’autres cas flagrants de mauvaises gestions à mettre à son compte. Elle était quand même ministre depuis 1991, dans le Gouvernement de Majorité présidentielle élargie (GMPÉ) de feu Habib Thiiam.

Ce seul ‘’vrai-faux’’ décret  accordant à cette dame les avantages indécents que l’on sait est un crime, un vrai crime qui, avec nombreux autres de la gouvernance  « sombre et vicieuse » de ce politicien pur et dur que nous supportons depuis le 2 avril 2012, valent bien la haute trahison. Dans tout autre pays que le Sénégal, dans tout pays sérieux, avec des populations conscientes de leurs responsabilités citoyennes, ce ‘’vrai-faux’’ décret aurait suscité l’indignation générale qui pourrait lui valoir bien des déboires. Il n’en sera malheureusement rien car, comme le fait remarquer avec pertinence et courage le Dr Cheikh Oumar Diagne, trois obstacles majeurs  s’opposent à tout changement qualitatif dans notre pauvre pays. Ce sont :

  • une mafia politico-religieuse qui nous consomme depuis des décennies,
  • une mafia affairo-intellectuelle assimilable à des prostitués et à des chiens de garde qui aboient sur les plateaux de télévision et devant les micros de radios, pour faire plaisir à leur bienfaiteur,
  • des hommes d’affaires qui sont toujours avec le régime en place, et quel qu’il soit. Il les qualifie d’ailleurs de crasses.

Ce Dr Diagne que j’aurais souhaité vraiment connaître, fait partie des rares Sénégalais et Sénégalaises qui ont le courage de leurs opinions. Il s’exprime souvent, sans langue de bois, dans des vidéos qui circulent dans les réseaux sociaux. Si, d’ici à 2024, émergeaient de nombreux autres Dr Diagne, l’odieux système mis en place depuis le 18 décembre 1962 pourrait être secoué, peut-être même définitivement balayé, avec les hommes et les femmes qui se relaient depuis cette date, à la tête de notre pauvre pays.

Dakar, le 1er juin 2020

Mody Niang

 

 

 

[1] La fonction de ministre est dévaluée au Sénégal depuis le 1er avril 2000. Depuis lors, tout le monde ou presque peut s’y réveiller et  devenir ministre ou ministre d’État. Ministre d’État ! Savent-ils vraiment ce que c’est ?

[2] Il en serait peut-être de même si un coup d’œil avait été jeté sur le contrat d’affermage attribué au Groupe français Suez au détriment du Groupe la Sénégalaise des Eaux, opérateur local depuis l’année 1996. Ce contrat a fait l’objet de beaucoup de commentaires qui n’ont pas épargné le ministre de tutelle d’alors, beau-frère du président-politicien. La lumière mériterait également d’être faite sur le tout récent contrat accordé par la SENELEC au Groupe Akilee.

[3] Nous savons comment pour Guédiawaye et Pikine.