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L’injustice des justices spéciales : Karim WADE victime de la CREI ? (Acte I)

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Aliou TALL

L’injustice des justices spéciales : Karim WADE victime de la CREI ? (Acte I)

 

L’affaire Karim WADE soulève de graves inquiétudes sur la légalité et l’impartialité de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI). Pis, le Conseil Constitutionnel sénégalais vient de valider la loi sur la CREI, qui fait peser une présomption de culpabilité sur les personnes mises en cause. Cette violation du droit international ne traduit-elle pas un caractère politique pour cette juridiction spéciale?

 

L’injustice d’une justice fondée sur une présomption de culpabilité.

Par sa décision du 05 mars 2014 le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la constitution les lois réprimant l’enrichissement illicite et organisant la CREI. S’il est plausible que les droits de la défense n’emportent pas un droit de faire recours contre tous les actes de la procédure pénale (garde à vue, perquisition, inculpation, etc.), il est alarmant de constater que le Conseil Constitutionnel valide la présomption de culpabilité qui caractérise la CREI.

 Pour les sages, à partir du moment où la présomption de culpabilité souffre la preuve contraire, elle est légale. Cela rappelle le système inquisitoire : vous êtes coupable jusqu’à ce que vous prouviez que vous ne l’êtes pas. Il est inadmissible que le Conseil Constitutionnel tolère que le législateur puisse violer, même exceptionnellement, les textes internationaux qui font partie du droit sénégalais. Cela revient à autoriser le législateur à violer la Constitution, qui consacre la primauté du droit international sur le droit interne. Sauf à se contredire, la Cour suprême ne devrait pas suivre cet avis surréaliste dans le fond de l’affaire. Elle est en droit, en tant que juge de l’application de la loi, de veiller à l’application des normes de droit international  sans demander la permission du juge Constitutionnel : le juge judiciaire est compétent pour appliquer le droit international conventionnel à la place de la loi interne. L’applicabilité et l’invocabilité directe du droit international et africain par les prévenus s’imposent au juge constitutionnel. Il ne peut y déroger sans violer lui-même la constitution. Les personnes poursuivies par la CREI devraient soulever le grief tiré de l’incompétence négative du législateur, qui accorde trop de pouvoir à l’Etat, lui permettant d’influencer le fonctionnement  de cette juridiction par la voie réglementaire.

 

La CREI, une juridiction spéciale en sommeil depuis 1983, ressuscitée en 2012, susceptible d’être incinérée à partir de 2014 pour renaître de ses cendres en mode CRIEF.  

En tant que juridiction ad hoc, la CREI (Qui pourrait devenir la CRIEF : Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières) a été ressuscitée après un long sommeil.  Le fait que l’exécutif puisse appuyer sur un bouton ON/OFF pour réactiver ou réinventer à sa guise un organe de répression ; le rôle important et l’influence que peut avoir en amont le ministre de la justice, ne remettent-ils pas en cause l’indépendance de la CREI ? Les juridictions spéciales égratignent régulièrement l’impartialité de la justice. Leur normativité exceptionnelle les éloigne de la normalité judiciaire. Les soubresauts dans  l’affaire Karim WADE en témoignent. Pourquoi soumettre une affaire pénale à une juridiction spéciale, alors que les dispositifs juridiques et judiciaires qui  existent déjà permettent d’appréhender les faits criminels poursuivis ?  Il existe déjà dans le droit pénal des incriminations permettant de sanctionner ceux qui s’enrichissent illégalement.  Il est en ainsi  du vol, du recel, de l’abus de confiance, de la corruption, de l’escroquerie, du faux et de l’usage de faux, de la corruption, du trafic d’influence, de l’abus de bien sociaux, du blanchiment de capitaux, de la fraude fiscale, etc. Les juges sont bien  rodés dans la répression des ces infractions, et n’ont pas  besoin d’une juridiction spéciale pour bien faire leur travail.  Si vous êtes dirigeant ou agent d’un organisme public, d’une société privée subventionnée par l’Etat ou chargée d’exécuter une mission de service public,  d’un organisme à but non lucratif reconnu d’utilité publique, vous êtes coupable si, après mise en demeure, vous ne pouvez pas prouver la licéité des ressources qui vous permettent  d’avoir un patrimoine ou de mener un certain train de vie. Cette méthode de traque des délinquants financiers peut être facilement détournée à des fins politiques. Elle n’est pas conforme au droit international.

 

La CREI, une juridiction illégale au regard du droit international.

L’actuelle définition du délit d’enrichissement illicite est un fourre-tout dangereux, qui piétine éperdument la présomption d’innocence. En cela, la loi sur la CREI viole les articles 6 et 7 de la charte africaine des droits de l’homme qui consacrent cette présomption d'innocence et garantissent le droit à un procès juste et équitable. Le droit communautaire africain constitue un nouvel ordre juridique qui s’impose au Conseil constitutionnel. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son premier protocole additionnel ont été ratifiés par le  Sénégal depuis 1978, et font partie de son corpus législatif. Non seulement les personnes poursuivies par la CREI peuvent invoquer directement leurs dispositions devant les juridictions sénégalaises,  mais encore elles peuvent s’y appuyer pour dénoncer l’illégalité de la CREI devant les instances onusiennes. En effet, conformément au Pacte, quand Karim WADE et Cie auront épuisé toutes les voies de recours internes  pour contester la légalité de la CREI,  ils pourront  directement porter plainte devant  le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies pour dénoncer la violation  de leurs droits fondamentaux. Ils pourront brandir l’article 9 du Pacte, dans la mesure où toute détention ordonnée par une juridiction illégale, au regard du droit fondamental, est arbitraire ; de même que l’article 14 du Pacte et l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme  de 1948 qui sacralisent la présomption d’innocence et les garanties nécessaires à la défense.  La contestation portant sur la violation d’un traité est recevable devant le Conseil constitutionnel, au même titre que la violation de la Constitution. Et s’il y a non-conformité entre une norme internationale et une norme constitutionnelle, cette dernière doit être écartée. Cette démarche, et la saisine du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, sont deux cartouches que Karim WADE et consorts pourront dégainer pour faire tomber la CREI sur le champ de la bataille internationale.

 

S’il ne fait aucun doute que Karim WADE doit répondre des accusations de malversations financières portées contre lui, on peut légitimement se demander si le choix de la CREI pour connaître de l’affaire répond à des impératifs strictement judiciaires. Est-ce une affaire judiciaire mêlée de velléités politiques comme le prétendent des soutiens de Karim WADE ?  Est-ce une manipulation politicienne visant à écarter un adversaire gênant ou à se venger des écarts du régime de WADE ? L’avenir proche nous le dira.

Aliou TALL 
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen) 
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