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iGFM (Dakar) A plusieurs reprises déjà, la presse s’était fait l’écho, en vain, d’une supposée brouille entre le Président de la République et son Premier Ministre, qui semblait s’être révélée par la suite une simple vue de l’esprit. Mais la vérité est qu’aujourd’hui, depuis les travaux de finalisation du Plan Sénégal Emergent (PSE) et les préparatifs du Groupe consultatif de Paris, l’on se surprend à penser que la presse, toutes lignes éditoriales confondues, n’invente peut-être pas, ni n’exagère, cette crise larvée quelque peu perceptible.
En effet, les initiatives récemment prises par la Présidence de la République, « par-dessus la tête » de la Primature, ont suscité beaucoup d’interrogations sur l’état actuel de la confiance que le Président accorde à Mme le Premier Ministre et généré des frustrations, au moins au niveau des proches collaborateurs de celle-ci. Il s’agit, notamment, des faits suivants :
- la décision prise, contre toute attente et contrairement aux pratiques antérieures, de conduire la délégation sénégalaise à la réunion du Groupe consultatif de Paris ;
- la lettre circulaire adressée le 17 février dernier aux Ministres et leur demandant de lui faire,avant le 7 mars, un état du suivi des décisions et directives prises en Conseil des ministres ;
- et la mise en place imminente, au niveau du Cabinet de la Présidence de la République, d’une « Delivery unit » qui sera chargée d’assurer le suivi-évaluation des projets relevant du PSE.
Artificielle ou pas, cette prétendue crise semble avoir engendré des agacements et installé des divergences entre les deux pôles de l’Exécutif, malgré ce qu’en a dit récemment Mme le Premier Ministre.
D’un côté, des proches du Premier Ministre ont stigmatisé des entorses à la bonne marche des institutions et souligné qu’il n’appartenait pas au Président de la République, par exemple, de demander des comptes directement aux ministres, sauf pour des questions «d’extrême urgence» ou de «grande sensibilité» et que, de tous temps et en tous lieux, le Chef de l’Etat donne des instructions à son Premier Ministre qui les répercute aux Ministres. Ils ont ainsi trouvé surprenants les récents actes posés par le Chef de l’Etat, qui relèvent de l’action gouvernementale, alors que la mission essentielle du Premier Ministre est de coordonner cette activité gouvernementale et de donner corps aux idées présidentielles.Au niveau du Palais présidentiel, par contre, certaines personnes bien intentionnées ont avancé que Mme le Premier Ministre était trop à la recherche d’une visibilité, qu’elle tournait trop autour du Président, avec une altération des règles protocolaires, une exposition outrancière aux médias, des déplacements inutiles avec le Chef de l’Etat pour des motifs injustifiés, etc., au point que l’efficacité et la productivité de l’appareil d’Etat en avaient pris un coup, laissant suggérer une division du travail approximative, voire nébuleuse, entre la Présidence et la Primature. Ceux que l’on a coutume d’appeler « les faucons du Palais » sont même allés jusqu’à souligner qu’après tout, constitutionnellement, c’est le Président de la République qui « définit et conduit la politique de la Nation » et qu’il n’y avait pas là matière à discussion…
Quoi qu’il en soit, le Groupe consultatif de Paris ayant été un franc succès, il faut bien reconnaître que, si les ressources promises par les partenaires techniques et financiers sont effectivement mobilisées et que le PSE est bien mis en œuvre et suivi avec méthode, ce serait historique pour le pays. C’est sans doute pourquoi le Chef de l’Etat a décidé de s’impliquer personnellement, à travers ses propres services, aussi bien dans la supervision de l’élaboration et de la mise en œuvre, que dans le suivi-évaluation des programmes/projets inscrits au PSE. D’où la décision de mettre en place une « Delivery unit » au niveau de la Présidence, c’est-à-dire une unité de planification stratégique et de suivi-évaluation, « articulée à la Primature et aux points focaux des ministères », afin d’assurer l’orientation stratégique et le monitoring des projets du PSE.
Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Malgré l’expression très prisée, voire galvaudée, de « dualité au sommet de l’Etat », il ne saurait y avoir de dualité, le Premier Ministre n’étant, dans un régime présidentialiste tel que le nôtre, que le premier des Ministres, « primo inter pares ». A cet égard, force est donc de rappeler que c’est le Président de la République qui est le dépositaire du suffrage des électeurs et qui sera le véritable comptable de l’action gouvernementale à la fin de son mandat, quels qu’aient été les Premiers Ministres successifs. Aussi, le Chef de l’Etat a-t-il sans doute estimé que sa réélection pouvait se jouer là et qu’il n’avait pas d’autre choix que de « prendre les manettes ».
La référence à la Primature dans l’annonce faite par le Président au sujet de cette « Delivery unit » laisse néanmoins entendre que la Primature a toujours sa partition à jouer et qu’elle ne devrait pas être supprimée, comme souhaité par certains « ténors » du parti présidentiel, bien qu’en dépit de l’aspect rassurant de cette allusion, certains observateurs dans l’entourage du Président ne manquent pas de souligner que cela ne signifie pas pour autant que le départ annoncé de l’actuelle occupante du poste ne soit pas à l’ordre du jour.
Du reste, en décidant de passer à l’émission « Grand jury » de la RFM le dimanche 9 mars 2014, Mme le Premier Ministre a : soit pris le risque de s’exposer dans une sorte de « baroud d’honneur », malgré les critiques sur sa prétendue boulimie de communication, afin de donner notamment des gages de loyauté ; soit, a contrario, été instruite par qui de droit pour clarifier les choses, apaiser les tensions et faire taire les rumeurs, ce qui peut paraître vraisemblable au regard de la teneur de sa prestation, mais ne suffit pas pour autant à expliquer le mutisme persistant du Chef de l’Etat face aux attaques dont elle est l’objet. A ce sujet d’ailleurs, quelques journalistes, comme Penda Sow de Dakar.xibaaru.com, ont été amenés à se demander « quelle mouche a piqué » Mme le Premier Ministre « pour qu’elle sorte de sa réserve et prête le flanc », alors que cette réserve était son meilleur bouclier.
Quoi qu’il en soit, le limogeage du Premier Ministre, quelques mois seulement après l’éviction de son prédécesseur, serait en tout cas un mauvais signal sur le plan de la gouvernance du pays. En usant à l’envi de ses prérogatives constitutionnelles et en révoquant de manière répétitive et à intervalles réguliers ses Premiers Ministres, le Chef de l’Etat pourrait donner l’impression d’une certaine difficulté à bien les choisir et surtout à les responsabiliser, comme l’a fait observer le journaliste-politologue Babacar Justin Ndiaye. Il faudrait donc que le Président fasse attention aux effets pervers que pourraient entraîner certaines de ses décisions, en évitant, notamment, d’être l’otage des caciques de son parti et de son entourage et en se départissant de la tendance qu’il a à les écouter systématiquement et à croire en leur bonne foi ou leur intelligence.
Ainsi, l’expérience du passé aidant, tout éventuel départ de l’actuel Premier Ministre devrait être envisagé avec la plus grande vigilance, bien que les irréductibles du parti présidentiel claironnenturbi et orbi que c’est un décret présidentiel qui nomme le Premier Ministre et que c’est un même décret qui le démet. Or, comme le dit fort justement le même Babacar Justin Ndiaye, « un décret présidentiel peut en effet changer le ou la titulaire, mais sans brûler la fonction, ni enterrer la mission ».
Aussi, faut-il vivement souhaiter que le poste de Premier Ministre ne soit pas supprimé, quelle que soit l’issue des discussions, voire des controverses, qui ne manqueront pas d’avoir lieu au sujet des propositions de réformes de la CNRI et, ceci, afin de s’assurer d’une certaine stabilité politique du pays et de se placer à équidistance des contingences partisanes, sans parler de l’énorme charge de travail et des immenses besoins de coordination que suppose un régime présidentiel pur. A moins que l’on ne veuille matérialiser le poste de Vice Président créé par le précédent régime ou ressusciter la formule, inique, du Ministre d’Etat à la Présidence chargé de la coordination de l’action gouvernementale ?...
En tout état de cause, dans le contexte actuel de grandes coalitions, les difficultés de cohésion et les remous internes enregistrés au niveau des différentes composantes politiques de telles alliances, qui ont fini par montrer leurs limites, sont les vecteurs de joutes politiciennes qui risquent d’être à l’origine d’une probable instabilité politique et donc gouvernementale. L’on assiste en effet aujourd’hui à une double crise dans ces coalitions : crise de représentativité et de leadership et au niveau des différents partis composant ces coalitions et crise de positionnement à l’intérieur de ces partis, du fait de la redistribution des cartes et des rôles. Les dérapages et évènements violents qui ont commencé à avoir lieu, à l’occasion des investitures pour les prochaines élections locales, sont là pour le prouver.
A cet égard, il n’est point besoin pourtant de rappeler que la nouvelle donne sociopolitique du pays réside dans le fait que les citoyens expriment, de plus en plus et assez fortement, leur aspiration à une nouvelle forme de gouvernance, basée plus sur les contenus programmatiques que sur les référentiels politiques. Il faudrait donc, afin de ne pas décevoir les attentes populaires et de se donner les moyens de satisfaire valablement, à la fois la demande sociale et la demande citoyenne, en tirer toutes les conséquences, en maintenant le poste de Premier Ministre et en privilégiant la compétence à l’appartenance politique, quelle qu’elle soit, pour occuper des fonctions exécutives.
En effet, en accordant une place plus importante dans la gestion des affaires publiques à des cadres compétents, ayant fait leurs preuves dans leur parcours professionnel, le pouvoir exécutif disposerait de suffisamment de marge de manœuvre, eu égard aux contraintes politiques prévisibles à court terme, pour atteindre sans à-coup et dans un minimum de délai, les objectifs poursuivis dans les différents secteurs jugés prioritaires, mais aussi en matière de transparence, d’efficacité et d’efficience dans la gestion publique.
Etant entendu que la prime à la légitimité politique sera toujours de mise et que la soi-disant loyauté a encore de beaux jours devant elle, il faudra cependant aux autorités et à leurs alliés une fermeté à toute épreuve, pour contenir les ambitions personnelles de partisans, voire de « clients », ainsi que les velléités de « transhumance » ou d’ « entrisme » d’opportunistes politiques en mal de sinécure ; d’autant qu’en définitive, la place de ces « hommes de terrain » ou « politiciens professionnels » est plutôt dans des fonctions électives, au sein d’institutions représentatives ou consultatives telles que l’Assemblée nationale, le Conseil Economique, Social et Environnemental, les Conseils départementaux et les Conseils municipaux.
Mohamed SALL SAO, le 11 mars 2014
Expert international en gouvernance administrative et politique, Ancien Conseiller en management au BOM de la Présidence de la République et Ancien Conseiller en administration publique et gouvernance aux Nations Unies.
source: http://www.gfm.sn/actualites/item/12114-contribution-reflexions-sur-une-supposee-brouille-au-sommet-de-letat.html
Contribution-Réflexions sur une supposée brouille au sommet de l’etat
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