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Au Sénégal, pays de grands intellectuels et traditionnellement de grands débats, le constat le plus partagé est la quasi absence de débat public sur les enjeux, concernant les choix de société et les stratégies économiques, du fait notamment de la peopolisation de la presse. Aussi, on peut se demander, comment la presse sénégalaise pourra t-elle assumer cette fonction indispensable à la démocratie et à la bonne gouvernance si, pour l’essentiel, elle ne s’intéresse qu’aux faits divers, aux ragots, à la rumeur et au divertissement ? On est en droit de se demander également, quelle est la responsabilité de l’Etat pour veiller à ce que la presse, qui vit présentement une crise existentielle et une crise des valeurs, dispose des conditions de son développement?
La presse nous a souvent honorés Le questionnement est d’autant plus actuel que si nous goûtons à la démocratie aujourd’hui, nous le devons, en bonne partie, au combat d’avant-garde pour le pluralisme, l’affirmation de la liberté d’expression et la libéralisation du secteur de l’audiovisuel, mené par la presse sénégalaise. Par la formation des consciences et la structuration du débat public, elle a joué un rôle déterminant dans la transparence du scrutin qui a permis au Sénégal de connaître sa première alternance, après quarante ans de régime socialiste. Elle fut également avec la société civile les sentinelles vigilantes qui ont notablement contribué à limiter les dérives de l’ancien régime et à l’avènement de la deuxième alternance démocratique.
S’il nous est loisible de critiquer les contenus et les choix éditoriaux très discutables dans le paysage médiatique dominé par le sensationnel, nous ne pouvons passer sous silence sa remarquable contribution à la marche du pays et à la dénonciation de tous les actes de mal gouvernance.C’est pourquoi, la question sur le rôle de la presse dans la transformation du pays doit être posée à l’ensemble des acteurs concernés dans une volonté commune de partager un diagnostic et de dégager des solutions. L’exercice est sensible et complexe. Elle exige de chacun responsabilité et respect. S’interroger sur le rôle de la presse relève en grande partie de la responsabilité des journalistes et des dirigeants des médias. Ils sont unanimes à reconnaître que le secteur de la presse vit une double crise.La presse est en crise
La première est structurelle et met à nu la faiblesse du modèle économique de nos entreprises de presse. Les journaux sont sans cesse déficitaires, les baisses de recettes publicitaires sont constantes, leur diffusion dépend de commerçants analphabète du secteur informel qui ont le contrôle du marché de la distribution et vont jusqu’à influencer la ligne éditoriale pour certains. La distribution est limitée à Dakar qui absorbe 90% du tirage des journaux, très modeste dans son ensemble.
Dans une telle configuration, il ne faut pas s’étonner que les rédactions s’appauvrissent de contenus et de journalistes professionnels. Son instrumentalisation devient plus facile et permet à des entrepreneurs de financer des journaux à perte dans l’espoir de bénéfices futurs ou alors à des fins de règlement de compte ou de communications politique, religieuse ou sociale.La deuxième est existentielle des métiers et des savoirs faire de la presse écrite, ainsi que du journalisme qui ne se pratique plus de la même manière. Du fait des difficiles conditions de survie, il s’est développé le modèle dominant de la presse qui présente moins de contraintes, moins de charges et qui pour augmenter ses ventes, est amenée à susciter l’attention des lecteurs par des informations sensationnelles, à lui raconter des histoires, cruelles ou émouvantes, à s’adresser à sa sensibilité, à jouer avec ses émotions. L’indignation devant le succès et les méthodes de la presse à scandales n’empêche pas sa prolifération. C’est cette presse de faits divers qui alimente les tribunes radiophoniques, les journaux on ligne et les talk show télévisés. Ces instruments potentiels de développement culturel, politique, informatif et de divertissement sont entrain d’exercer une influence non négligeable sur la formation du système de valeurs de la communauté.Aujourd’hui, c’est le système « LMD », comprenez lutte, musique et danse, qui charrie quotidiennement nos vies, tellement il domine l’espace médiatique. Ce qui signifie que si nous voulons transformer notre société à partir d’un autre système de valeurs, il nous faut impérativement agir sur l’écosystème du débat public et de la circulation des idées. L’Etat sera bien dans son rôle en proposant et en aidant à sortir de la crise pour que l’espace médiatique se réapproprie sa fonction d’institution du débat public.La presse a besoin de l’Etat
Face à la presse française, acculée par la crise mondiale qui frappe l’industrie des médias, le Président SARKOSY dira ceci : « le rôle de la puissance publique est de créer les conditions pour que votre environnement professionnel soit sain ; pour que vos équilibres économiques soient préservés ; pour que vous puissiez saisir toutes les opportunité d’une société plus que jamais avide de savoir, de culture et d’information ; pour que votre activité puisse en permanence s’adapter sans contraintes et sans frein ; pour que l’innovation soit possible et encouragée ». Ainsi, dans la volonté de préserver cet espace public, l’Etat encadre, participe au financement, alloue des aides – directes ou indirectes – aux entreprises de presse. L’Etat joue, en d’autres termes, un rôle de garant de l’accessibilité pour tous à une information diverse et plurielle.
En France l’aide à la presse représente 1 milliard d’euros soient, 10% du chiffre d’affaires de la presse écrite. Au Canada, le gouvernement a mis en place d’importants programmes comme le Fonds d’appui aux médias qui a permis de financer les producteurs, les réalisateurs et les diffuseurs pour la réalisation de 27000 heures d’émissions canadiennes. Soit un investissement de 3 milliards de dollars sur les dix dernières années.Toutefois, cette considération de l’État comme garant de la liberté n’est pas un modèle universel. En effet, pour la presse anglo-saxonne par exemple, la presse s’est posée elle-même comme un « pouvoir » quasi institutionnel de l’opinion publique d’où découlent les fondements de sa liberté et la garantie de son indépendance, notamment à l’égard de l’État. Ceci est particulièrement vrai au Etats unis et en Angleterre.La presse n’est pas un produit comme les autres
La presse fait partie de l’équilibre des pouvoirs. Elle est un des piliers de la démocratie qui est notre mode de gouvernance publique. C’est pour cela que la presse n’est pas un produit comme un autre. Pour cette raison, ajoutera le Président SARKOSY : « elle ne peut être laissée aux seules lois du marché ».
C’est ce que démontre l’économiste Paul SAMUELSON qui a établit en 1964 une classification entre les biens, distinguant biens privés et biens publics. La rivalité et l’exclusion sont les deux principes sur lesquels s’appuie cette taxinomie : la rivalité est un principe en vertu duquel la consommation d’un bien par agent diminue la quantité disponible de ce même bien par un autre agent ; l’exclusion conduit à écarter de la consommation d’un bien un individu, qui ne pourrait pas ou ne voudrait pas payer, pour jouir de la consommation de ce bien. Un bien privé répond à ces deux principes, à l’inverse du bien public pur.
« En effet, le caractère non rival de l’information – caractère partagé par l’ensemble des produits de contenu (musique, édition, télévision, etc.) – signifie qu’elle peut être consommée simultanément par un nombre arbitraire de consommateurs : la lecture par un individu des informations comprises dans un journal ne peut pas priver les autres individus de la possibilité de les lire à leur tour. De plus, dans le cas d’un accès gratuit (comme pour la radio ou la presse gratuite d’information), l’information se définit comme un bien public pur ». C’est sur la base de ce caractère non rival d’un bien que se justifie économiquement l’intervention de l’État, cette intervention prenant des formes diverses selon les catégories éditoriales dans l’organisation générale des entreprises de presse.La presse a besoin de partenaires au développement
Ce sont ces raisons, à la fois éthique et économique, qui poussent les partenaires au développement à considérer le développement du secteur de la presse comme un secteur essentiel. Un argument traditionnel avancé en faveur de la liberté de la presse est que la liberté d’information et de presse est un droit humain fondamental. Mais au-delà de l’argument selon lequel la liberté de presse est une chose naturellement bonne et morale, les partenaires au développement considèrent qu’il existe des preuves irréfutables qu’une presse libre, forte et indépendante est un puissant allié du développement économique et social et de la réduction de la pauvreté.
Le lien entre la liberté de la presse et le développement économique a, également, été exploré par la Banque Mondiale qui a publié un rapport remarqué intitulé « Le droit de s’exprimer : le rôle des mass médias dans le développement économique ». Ce rapport apporte une contribution sérieuse et substantielle aux études, aux analyses et aux arguments relatifs au rôle positif joué par la pesse libre dans le développement économique et la diminution de la pauvreté.
Ce que James WOLFENSEN, ancien Président de la Banque Mondiale, résume bien en ces termes : « la liberté de presse n’est pas un luxe. Elle est au centre du développement équitable. Les médias peuvent dénoncer la corruption. Ils permettent de contrôler les politiques publiques en braquant les projecteurs sur l’action gouvernementale. Ils permettent aux gens de faire entendre plusieurs opinions sur la gouvernance et la réforme et contribuent à établir un consensus public nécessaire au changement ». Ces arguments contribuent à souligner l’importance de l’aide au développement de la presse pour qu’elle figure en bonne place parmi les priorités des gouvernements et des agences intergouvernementales.La presse à besoin d’Etats généraux
Néanmoins, l’accompagnement de l’Etat et des partenaires au développement ne corrigera pas le modèle d’affaires sur lequel repose nos entreprises de presse, ni les fera sortir de la crise. Les problèmes rencontrés par les journaux sont souvent liés au manque d’investissement, à la concurrence des nouveaux médias, à l’incapacité de se hisser aux standards des grands annonceurs, à l’absence de cahier des charges, au manque d’auto régulation du secteur des médias, à la faiblesse des réseaux de distribution, etc.
La résolution des maux du secteur appelle à un exercice de vision partagée qui doit concerner les médias, l’Etat, les partenaires au développement et tous les acteurs de l’industrie des médias. Aussi, j’invite le Président SALL à proposer et à organiser avec les dirigeants des médias les états généraux de la presse pour entreprendre une discussion franche qui aboutisse sur des décisions fortes pouvant permettre à la presse sénégalaise de retrouver ses lettres de noblesse. Nous avons trop tendance à oublier que tout ce qui affaiblit la presse, affaiblit la démocratie.
C’est ce que le Général de Gaulle avait compris quand, pour sortir la France de l’emprise de la presse de caniveau et la doter d’un journal de prestige, il charge son ministre de la Communication de l’époque, Pierre-Henry Teitgen, de lui trouver un directeur, en la personne d’Hubert Beuve Méry. Ainsi est né le journal « Le Monde », dans l’ombre du pouvoir. Il s’est rapidement émancipé pour devenir le quotidien national d’information de référence. L’histoire du Monde a permis à la presse française d’information de garder le haut du pavé et à la presse à sensation de continuer à se développer sans pouvoir dominer l’espace médiatique.Abdoulaye Rokhaya WANE,StratégistePrésident du Think Tank Leadership Afriquesource: http://www.sudonline.sn/parlons-aux-dirigeants-des-medias_a_18413.html
PRESIDENT SALL, SI VOUS PERMETTEZ… PAR ABDOULAYE ROKHAYA WANE, Parlons aux dirigeants des médias
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