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Table ronde de la LD sur les APE
1) Introduction : Pourquoi l’Afrique est elle devenue un enjeu mondial ?
Un rapport publié le 6 mai 2011 par la Banque africaine de développement estime que plus d’un tiers de la population du continent africain (soit 313 millions de personnes) fait à présent partie de la classe moyenne, avec une consommation quotidienne entre 2 et 20 dollars .
Cette classe moyenne émergente d’Afrique est à peu près équivalente à celle de l’Inde ou de la Chine.
L’étude divise cette classe moyenne en trois catégories : la classe moyenne supérieure, classe moyenne inférieure, et une nouvelle catégorie appelée «classe moyenne flottante».
Ce dernier groupe vient à peine de s’extraire de la pauvreté, et sa consommation quotidienne varie entre 2 et 4 dollars par jour (entre 1,4 et 2,8 euros).
Elle est aussi le sous-groupe qui a crû le plus vite ces dernières années, passant d’à peine plus de 10% de la population en 1980 à plus de 20% aujourd’hui.
L’Afrique est donc un réservoir de consommateurs, pas seulement une mine bien garnie de ressources naturelles. La demande de services y est très élevée.
C’est donc cette prise de conscience au niveau des grandes puissances, qui a contribué à faire de l’Afrique l’objet d’une âpre compétition dans le nouveau partage de l’économie mondiale.
2) L’Afrique et les APE
Il s’est agi de trouver une solution pour remplacer la convention de Lomé et les accords de Cotonou qui permettaient depuis 1975 à certains produits des pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) d’entrer sans taxe en Europe, prenant ainsi en compte les différences de développement entre les deux zones.
Mais parce que non réciproques et discriminatoires, Lomé et Cotonou ont été jugés non conformes aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
En 2002, la Commission européenne a donc proposé de nouveaux accords à signer avec six blocs (Afrique orientale, Afrique australe, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, région des Caraïbes et région Pacifique).
L’idée principale de ces APE peut se résumer en une phrase : « On permet à 100 % de nos produits d’entrer sans droits de douane en Europe et nous faisons la même chose pour au moins 80 % des leurs. »
3) Les craintes de l’Afrique
« Les produits fortement subventionnés européens vont déstabiliser notre agriculture, et le tissu industriel, et induire une baisse des prix ».
En juillet, le président d’une organisation patronale du Cameroun, Protais Ayangma, a expliqué à ses concitoyens que l’APE allait déstructurer l’industrie, déjà faible, de leur pays et « détruire les emplois, qui vont se transporter vers les pays du Nord, nous réduisant au statut de consommateurs.
Autre grand motif d’inquiétude : la baisse des revenus douaniers qu’implique l’ouverture des marchés.
En effet, Christiane Taubira, aujourd’hui Ministre de la Justice de la France, dans un rapport commandé en 2008 par Nicolas Sarkozy avait noté : « Après la suppression des recettes fiscales douanières qui constituent parfois près de 40 % des ressources budgétaires des États, les APE vont procéder durablement sinon définitivement au désarmement des États », et elle concluait : « qu’il n’y a pas d’exemple d’ouverture de marché qui ait conduit au développement ».
La clause de la « Nation la plus favorisée » figure aussi parmi les nombreux points jugés scandaleux par la partie africaine : elle impose aux ACP l’obligation d’étendre à l’Europe les avantages commerciaux plus favorables qu’ils accorderaient à un autre gros partenaire commercial.
C’est pourquoi », le Roppa constate avec amertume, que les APE signés par l’Afrique de l’Ouest « confinent davantage la région dans un rôle de fournisseur de matières premières et de client des produits (…) subventionnés européens.
Ainsi, à travers les APE, se lit la volonté de l’Europe de contrer d’autres grandes puissances comme la Chine, de plus en plus présente sur le continent africain, alors que ce dernier va être, selon toutes les prévisions, le prochain gisement de croissance de la planète.
Mais devant l’accueil froid des blocs régionaux d’Afrique, la Commission a changé de stratégie en cours de route et a initié des négociations bilatérales.
Elle a ainsi réussi à briser les solidarités régionales : le Cameroun s’est désolidarisé dès 2007 de l’Afrique centrale (huit pays) en acceptant de signer un APE « intérimaire ». Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont fait de même, contre l’avis du reste de l’Afrique de l’Ouest (seize pays).
La manœuvre européenne était bien pensée : tous les pays n’ont pas le même niveau de développement et certains ont plus à perdre que d’autres avec un APE.
Ainsi les « pays les moins avancés » (PMA), majoritaires, ont tout intérêt à ne pas signer d’APE : ils bénéficient déjà d’un accès libre de droits et de quotas au marché européen dans le cadre de l’initiative « Tout sauf les armes ».
A l’inverse, les pays « à revenu moyen inférieur » (dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Kenya) vont, s’ils n’adhèrent pas aux APE, devoir payer des droits d’entrée : ils vont rejoindre le régime du système généralisé de préférences (SGP), qui offre aux produits des pays en voie de développement des tarifs privilégiés, mais est moins intéressant qu’un APE.
Mais devant cette manœuvre de division, nos Chefs d’Etat n’ont pas pu opposer à l’Union Européenne un front uni, en lui portant la réplique d’augmenter proportionnellement les taxes sur les produits européens destinés au marché africain. C’est l’Europe qui a plus besoin du marché africain que l’Afrique de son marché.
Même les propositions faites aux Chefs d’Etat de la CEDEAO pour compenser les taxes européennes sur les produits des pays menacés, n’ont pas été prises en compte pour permettre aux pays concernés de refuser les APE intérimaires.
Cependant, malgré la signature des APE intérimaires, les réticences n’ont pas disparu grâce aux luttes menées par les organisations de la société civile africaine sur la base d’études pertinentes.
La Commission européenne dut revoir, à la demande de plusieurs États européens (la France, le Danemark, la Grande-Bretagne, l'Irlande et les Pays-Bas), quelques-unes de ses exigences.
Elle a accepté de faire descendre sous la barre des 80 % le niveau de libéralisation demandé à l’Afrique de l’Ouest, pour retenir une ouverture progressive de 75% de notre marché, en compensation de la réduction de la période de libéralisation de 25 ans à 20 ans par rapport à aux exigences des africains au début du processus, qui estimaient qu’ils ne pourraient aller au-delà de 60 %, au risque de devenir totalement perdants.
En effet, L'étude de la CEA a montré que la mise en œuvre des APE de l'Afrique de l'Ouest et de la CAE pourrait réduire le commerce intra-africain de 3 milliards de dollars environ. Ce qui est une entrave à l’intégration.
Les pays africains tendraient en effet à substituer les importations provenant du continent avec les importations originaires de l'UE.
Les produits industriels représenteraient 2/3 de la réduction du commerce intra-africain (notamment les équipements électroniques et les machines, les produits chimiques et les textiles); le reste étant principalement composé de carburants.
La CEA recommandait la mise en place d’une zone de libre échange continentale avant signature de tout accord extra africain.
En effet, elle avait démontré, que si la zone de libre-échange continentale est mise en place avant la mise en œuvre des APE, les exportations de l'Afrique augmenteraient considérablement; le commerce bilatéral avec l'UE ne serait pas augmenté autant qu'avant, mais le commerce intra-africain serait stimulé pour près de 10%.
Cette augmentation du commerce intra-africain pourrait atteindre 160 milliards de dollars US.
Pour la CEA, il fallait une période de transition pour séquencer la libéralisation avec l'UE en fonction des avancées de la zone de libre échange continentale.
Malgré tout cela, sur la base de la dernière proposition de l’Union Européenne, l’Afrique de l’Ouest et plusieurs États d’Afrique australe ont dit oui aux APE, et le 16 octobre, cinq pays d’Afrique de l’Est ont les ont signés avec l’Union européenne (UE).
Cependant, la bataille contre les APE n’est pas finie, et des organisations de la société civile se mobilisent depuis plusieurs semaines pour demander aux parlements nationaux de refuser la ratification de ces APE, qui est l’ultime étape avant leur mise en œuvre.
4) Effets des APE sur le Sénégal
a) Situation avant APE
Sur la période 2007-2011, l’UE a, à elle seule, compté en moyenne pour 41,4% des importations contre 5,7%, 9,3% et 43,6% pour l’UEMOA, la zone CEDEAO (hors UEMOA) et le Reste Du Monde.
En 2011 par exemple, le Sénégal a importé, tenez vous bien, 2733 millions d’euros de marchandises des 27 pays de l’union européenne. En revanche, le Sénégal a exporté vers l’union européenne 407 millions d’euros.
En moyenne sur la période 2007-2011, les droits de douane issus de l’UE ont représenté 45,6% du total des droits de douane.
La TVA sur les importations devrait certainement être affectée par la libéralisation commerciale dès lors que son assiette est constituée de la valeur des importations comprenant les droits de douane.
La TVA collectée sur les importations d’origine européenne a en moyenne représenté 43,7% du montant de la TVA issue des importations, entre 2007 et 2011.
Les relations commerciales du Sénégal avec l’UE restent très déséquilibrées, le déficit commercial ayant presque doublé en moins d’une décennie.
Dès lors, l’UE constituant le premier fournisseur du Sénégal, la mise en place de l’APE renforcerait sa prépondérance dans les échanges extérieurs sénégalais, limitant ainsi les stratégies de diversification des partenaires commerciaux.
A cet effet, 71% des importations du Sénégal en provenance de l’UE devraient être progressivement libéralisés sur une période de 25 ans, à compter de l’année 2013, tandis que les 29% restants sont exclus de l’APE.
b) Situation avec APE
La DPEE avait déjà réalisé en 2008 une étude portant sur l’évaluation des effets économiques et commerciaux de l’APE au Sénégal.
Cette étude a fait ressortir des résultats intéressants qui ont mis en relief les effets de création et de détournement de commerce, mais également les conséquences sur le budget de l’Etat et le bien être global.
C’est sur cette base que le Président Wade était monté aux créneaux pour mener une croisade contre la signature des APE.
Cette étude fut réactualisée en tenant compte de la dernière offre d’accès au marché de l’Afrique de l’Ouest formulée par la CEDEAO à l’endroit de l’UE en novembre 2011 qui repose sur une ouverture de 70% durant 25 ans.
Les résultats des simulations indiquent que l’APE devrait globalement conduire à une contraction de l’activité économique, ainsi qu’à une baisse de la demande des facteurs de production (travail et capital) et du revenu des ménages.
Sur le plan sectoriel, l’étude trouve que la branche du raffinage de pétrole, les BTP, les services et le secteur primaire seraient les plus exposés à un repli de leur activité.
Le bien-être global devrait aussi se détériorer en raison de pertes fiscales relativement importantes.
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Les simulations de l’APE montrent aussi une augmentation croissante et régulière des importations en provenance de l’UE.
Cette hausse des importations devrait ainsi s’élever à 1,55% en 2016 et atteindre 2,67% en 2038, c’est-à-dire au bout du processus de libéralisation.
Il faut cependant noter que le démantèlement tarifaire en faveur des produits provenant de l’UE s’effectuerait au détriment des autres partenaires commerciaux du Sénégal, exactement comme la CEA l’avait démontré pour toutes les régions d’Afrique.
Si ce détournement de commerce devrait s’effectuer principalement en défaveur du « Reste du Monde » en termes absolus, il apparaît clairement que ce sont les pays de la CEDEAO hors UEMOA qui devraient en pâtir le plus.
En effet, d’un point de vue relatif, les importations en provenance du « Reste du Monde » connaîtraient une baisse annuelle moyenne de 1,3% entre 2016 et 2024 avant que l’écart, par rapport à la situation de référence, ne s’amplifie pour s’établir à 2,15% au bout de la période de démantèlement tarifaire.
En revanche, les résultats de la simulation indiquent que les importations des pays ouest-africains (hors UEMOA) devraient chuter à partir de 2016 et leur baisse se stabiliserait autour de 3,48% l’année.
Concernant les importations issues de la zone UEMOA, elles diminueraient de 0,92% l’an entre 2016 et 2024 avant que cette tendance s’accélère et se situe à 1,44% en 2038.
Donc, il est clairement établi que les APE sont anti intégration aussi bien au sein de l’UEMOA, qu’au sein de la CEDEAO.
En outre, l’étude constate la baisse globale du volume d’importation du produit « machines, équipements et matériel de transport », malgré la baisse de son prix à l’importation, alors que les arguments avancés pour promouvoir les APE, tablent surtout sur l’augmentation de leur importation qui devrait booster la croissance !
Du point de vue des exportations, l’observation des résultats de la simulation permet de constater que la mise en œuvre de l’APE aurait comme principal effet commercial un détournement du commerce entre le Sénégal et les pays de l’UEMOA.
Ainsi, les exportations sénégalaises à destination des pays de l’Union reculeraient, en moyenne, de 1% par an, à partir de 2016. Un recul des exportations vers la zone « Reste du Monde » devrait également être enregistré, avec une baisse annuelle qui se chiffrerait à 0,76% en 2016 et atteindrait 0,55% en 2038.
A contrario, il s’avère que les ventes de produits aux pays de la CEDEAO (hors UEMOA) et à l’UE évolueraient à la hausse de 0,16%, entre 2016 et 2024, avant que cette dynamique s’estompe progressivement.
En outre, les résultats indiquent qu’à partir de 2016, les pertes de recettes fiscales consécutives à la mise en œuvre de l’APE s’élèveraient à 3,6%, par rapport à la situation de référence et à 6% en 2038.
De prime abord, cette perte est imputable à la baisse des recettes douanières qui sont au cœur des enjeux liés à la libéralisation commerciale.
L’APE induirait ainsi une perte de droits de douane qui s’établirait à 20% en 2016, et qui s’aggraverait au point d’atteindre 31% en 2038.
L’évolution négative des recettes publiques s’explique également par les moins-values enregistrées sur les autres recettes indirectes qui subiraient une baisse ponctuelle de 1,52% au début du démantèlement tarifaire, ensuite, la baisse des recettes indirectes se situerait autour de 2.6% à la fin du processus de libéralisation.
La demande des facteurs de production (capital et travail) s’en trouverait réduite de même que le revenu des ménages.
La branche du raffinage de pétrole, les BTP, les services et le secteur primaire seraient les plus exposés à un repli de leur activité.
En revanche, les prix de biens baisseraient suffisamment pour améliorer le pouvoir d’achat et le bien-être des ménages. Toutefois, en raison des pertes relativement importantes de recettes fiscales, le bien être global devrait légèrement se détériorer. (NB : Effet « Souk » des APE).
Avec, ces simulations entre les mains du Chef de l’Etat du Sénégal, le Président Macky Sall, il est étonnant de le voir prendre la tête du peloton en faveur de la signature des APE, surtout que les dernières propositions de l’UE de 75% de libéralisation sur 20 ans, sont encore plus défavorables à l’économie sénégalaise dont les simulations avec moins d’ouverture (70%) et sur une durée plus longue (25ans), ont montré tout le danger que comporte la signature des APE, tant du point de vue du développement économique et social du pays, que de l’intégration africaine, quelle soit dans l’UEMOA, ou dans la CEDEAO.
5) Conclusion
La bataille autour des APE a longtemps été exclusivement celle des organisations de la Société civile, du monde rural et des centrales syndicales, en l’absence notoire des partis politiques, surtout de ceux d’entre eux qui se réclament du pan africanisme et/ou de la gauche.
Tant que cette bataille se déroulait au niveau technique dans le cadre sous régional et européen, elle échappait à l’agenda politique national dans nos Etats pris individuellement.
Mais après l’acceptation officielle des APE par nos Chefs d’Etat, leur ratification par nos parlements nationaux, remet cette bataille dans l’agenda politique national, et interpelle tous les patriotes, pan africanistes et/ou de gauche, pour qu’ils s’y impliquent à côté des organisations de la Société civile, des Centrales syndicales et des organisations du monde rural, qui, au Sénégal sont représentées par le Conseil National de Concertation des Ruraux ( CNCR), et au niveau de l’UEMOA, par le ROPPA.
Le Sénégal en votant « Oui à la France » au référendum de 1958 avait raté le défi son accès à l’Indépendance nationale. Il ne devrait donc plus, 54 ans après, raté le défi de son indépendance économique en disant un second « Oui à l’Union Européenne», par la ratification, par son Assemblée nationale, des APE.
Le Sénégal ne devrait pas perdre cette seconde bataille pour l’Indépendance, au risque de s’enfoncer dans la misère et de continuer à jeter sa jeunesse dans l’aventure suicidaire de l’émigration clandestine.
Non à la ratification des APE !
Ibrahima SENE PIT/SENEGAL
Dakar le 5 Décembre 2014