Transformer des terres chaudes et tristes en un paradis vert, on pense souvent la prouesse impossible en Afrique, mais il y a des gens et des groupes qui y parviennent grâce à la volonté, leur science et leur génie. Au Sénégal, non loin de Dakar, du côté de Bargny et aux abords d’un petit ruisseau où se lavent des canards sauvages, un homme et sa famille sont entrain de le réussir. En laissant à la nature ce qui lui revient, Pape Seck, a continué l’œuvre de son père dans la recherche de solution pour maintenir les vieilles terres rurales autour de Dakar dans leur état.
Aujourd’hui, c’est une grande fierté au milieu de ce rideau d’arbres aux abords d’un marigot sur lequel se mélangent tranquillement pélicans, canards pilets et pélicans, qu’il a campé le décor en cultivant du mil, du maïs, du sésame dont il sert pour nourrir les animaux, des races laitières en général, issus de l’insémination artificielle. Un écosystème reconstruit et un nouveau biotope est né. L’histoire de cet enfant du Cap Vert commence bien loin de sa base naturelle, dans le Saloum et le bassin arachidier, à Guinguénéo où son père, agent de commerce, a été affecté dans cette belle région des années 1960-1970, en qualité de gérant d’un magasin appartenant à la Compagnie Maurel et Frères.
Les belles années passées dans cette bourgade situé aux environs de Kaolack, capitale régionale de la région, vont forcer ses envies paysannes aux cotés d’un père qui aimait la terre et les animaux et qui a été connu comme un des plus grands cultivateurs de cette zone. Le fils du gérant a ainsi grandi dans ce milieu et ne l’oubliera jamais. « Toute mon enfance, raconte Pape Seck, je l’ai passé dans les études et l’agriculture… Ce que je fais aujourd’hui, n’est pas le fruit du hasard ; mais un legs important que mon père m’a laissé.»
Revenu au bercail en 1972, après le départ à la retraite de son père, l’enfant devenu comptable, n’oublie pas qu’il est aussi de Bargny et de la région du Cap Vert. Il continue à accompagner ce père adepte de l’agriculture familiale dans cette ferme établie sur la zone des terres noires des environs de cet ancien village lébou. Il va retenir les leçons car l’éternité qui n’est pas de ce monde, va lui enlever ce père prévenant auprès de qui il aura tant appris. Et, le voilà dans la solitude de l’adolescent obligé de prendre ses responsabilités ; mais il avait déjà un dessein tout tracé à travers l’agriculture et l’élevage.
Le désir d’entreprendre plus fort que tout
Car ce qui va encore consolider ses convictions, ce sont ces énormes quantités de résidus issus du maïs rejeté chaque année après les récoltes et qui pourrait servir à nourrir un troupeau. Ce sont d’abord des moutons. Puis, l’élevage de races de bœufs au cœur de ce qui va devenir la ferme.
Depuis 1997, le passionné d’élevage et d’agriculture a fait son bonhomme de chemin. Au début, avec les races maures venues de Mauritanie. Et, ensuite avec les Gobras sénégalais avec comme nouvelle option, la production de lait. Une nouvelle passion est née chez Pape Seck qui va être confortée par sa rencontre avec un spécialiste de la génétique animale, le professeur Pape Alassane Diop, de l’Ecole Inter Etat de Sciences et de Médecine Vétérinaire de Dakar. Une rencontre qui a eu lieu à Sébikhotane avec ce maître de l’insémination artificielle va forger ses connaissances et ses convictions suite à une conférence publique animée par le professeur.
Pape Seck est convaincu par l’homme qu’il vient d’écouter. Ce dernier est l’un des pionniers de l’introduction des races laitières au Sénégal au tout début des années 1990 dans les régions de Fatick, Kaolack et du Cap vert. Il veut faire de sa ferme, un modèle pour la profession. Et le voilà au cœur de son rêve. A travers les expérimentations et les conseils, l’association entre le gobra local et certaines espèces venues d’occidents comme la Brune des Alpes et la Holstein lui permet de compter aujourd’hui près d’une trentaine de vaches et quelques veaux que l’on peut venir admirer dans sa ferme.
Une chose est sûre, les échecs, la maladie du bétail et les contraintes financière liées à la réticence des banques à financer ce type d’entreprise n’ont pas vaincu son courage et sa volonté de gagner son pari.
Un pionnier dans un secteur de riches
Aujourd’hui, sur cette terre léguée par son père, l’homme est dans un domaine de plus près d’une vingtaine d’hectares. Des acacias et quelques leucena servent de clôture. A l’intérieur, se trouve la ferme protégée par un mur. L’ambiance est tranquille avec de nombreuses naissances de veaux pour l’essentiel des Holstein, un veau métis issu de la race Gujerat (avec une petite bosse déjà), l’essentiel étant composé de petits nés du croisement de toutes ces races avec la Brune des Alpes.
Sous le regard bienveillant de trois surveillants qu’il a initié lui-même à la garde et le traitement médical des espèces en présence, les animaux semblent en bonne santé. Près d’une dizaine de veaux de deux semaines à trois mois, sont regroupés à l’ombre, pour éviter qu’ils ne suivent leur mère dans leur errance. Avec les fermes situées dans les Niayes bien plus riches, Wayembam, Niakoul Rab, Bambylor, Pape Seck qui ne cache pas ses énormes difficultés d’entretien pour ces espèces fragiles et les nombreux échecs qu’il a connus, se dit heureux de faire partie des acteurs qui ont su relever ce nouveau défi.
L’élevage et l’entretien des races exotiques et laitières n’est de tout repos. Il faut de la nourriture et beaucoup. Des soins et tout le temps. Du suivi face contre les maladies mortelles qui menacent chaque jour son petit troupeau, reste une des clés de la réussite de cette activité. En guise d’exemple, pour la montbéliarde, la production laitière a été estimée au Sénégal entre 2000 à 3500 litres de lait pour 305 jours de lactation si elle est nourrie convenablement. Pour la Holstein venue d’Amérique, une race exploitée essentiellement pour la production de lait, la production moyenne est de 5751 kg si la nourriture régulière suit.
Dans sa ferme, en bonne saison, sortent chaque jour quelque 40 litres de lait ; ce qui est une bonne moyenne au Sénégal au vu des faibles quantités produites par les espèces locales. Il pourrait produire beaucoup plus ; mais il ne veut pas priver les petits du lait de leur mère qui permet une croissance plus rapide et une meilleure santé. L’autre grand problème reste la qualité de la semence. Importées par l’Etat, les semences sont devenues plus accessibles depuis que le président Abdoulaye Wade et son gouvernement ont lancé la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) en 2008. Vendues dans le privé à 50.000 FCFA avec une garantie de renouveler l’expérience une seconde fois si l’expérience n’a pas été concluante, elles sont aujourd’hui connues de beaucoup d’éleveurs autour de la région de Dakar.
Au fil des ans, les échecs connus avec le zébu maure moins résistant lui ont servi. Et la race locale gobra s’est adaptée entièrement à ses besoins. Les dernières naissances issues du croisement des espèces locales avec les races laitières venues d’Amérique et d’Europe, montrent que l’expérience porte bien ses fruits. A l’intérieur de l’enclos protégé par un mur, déambule la vingtaine de veaux nés obtenues par insémination ou par la montée naturelle.
Dans le groupe, un veau de couleur brune avec une petite bosse, attire l’attention. Il s’agit d’une Gujera. « Je l’ai introduite ici, pour sa qualité de viande et sa capacité à grandir plus vite que les autres espèces », précise l’éleveur qui ne cache pas qu’il lui arrive d’avoir des soucis financiers. La seule production de lait ne lui permettant pas de gagner plus d’argent, il faut trouver d’autres astuces. Là où une de ses espèces issues du métissage et âgée de deux ans est vendue à 800 000 FCFA environ la tête, le prix d’une vache locale ne dépasse guère 250.000 FCFA. S’y ajoute dans les périodes de soudure avec l’arrivée tardive de l’hivernage, la difficulté d’acquérir de la paille et le son de riz de la vallée du fleuve Sénégal ; une nourriture tendre qu’affectionne le bétail.
TIQUES, DERMATOSES, FIÈVRE, ALIMENTATION… LES FACTEURS LIMITANTS D’UN SECTEUR D’AVENIR
Mais, cet après midi d’octobre, quand nous visitons sa ferme, il ne cache pas son inquiétude. « Ce matin, se désole l’éleveur, je me suis réveillé avec mon principal taureau, la Brune des Alpes bien mal en point avec la fièvre aphteuse qui a fait son apparition. Et, le problème est qu’en ce moment, les produits qui doivent être importés d’Afrique du Sud ne sont pas disponibles, selon le responsable départemental de l’élevage. L’Etat ne nous encourage pas à faire un élevage sélectif avec des races laitières bien nourries et soignées. »
Depuis quelques jours, Pape Seck, garde en observation quelques vaches métisses de la race ndama du sud Sénégal qui semble bien s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie après avoir été transférés dans son petit domaine. En homme passionné, il a gardé l’œil sur elles. C’est sur les conseils d’un professeur, spécialiste de la génétique et responsable du Progebe, Mamadou Diop qu’il a reçu ces animaux croisés à une des espèces les plus petites de la sous-région, la taurin ndama du sud.
S’il se dit satisfait de la réussite de la reproduction et de l’introduction d’espèces nouvelles grâce à l’insémination artificielle, Pape Seck tire encore profit de la présence de son taureau, « la Brune des Alpes » née d’un autre croisement. Il raconte qu’il est presque le géniteur de la dizaine de petits veaux en observation dans l’enclos sous le regard bienveillants des gardes. Ce grand taureau lui permet de faire face au manque de semences par la montée naturelle.
Aujourd’hui mal en point, l’animal qui couve les débuts d’une fièvre aphteuse, a été privé de nourriture depuis ce matin. Fort de son expérience des races exotiques, Pape Seck justifie cette diète par le fait que « si on le nourrit trop, il devient trop lourd pour les femelles locales et même les métisses. » S’il dit avoir appris les rudiments de l’entretien et des soins donnés aux animaux, à travers les piqures (surtout les antibiotiques et les anti inflammatoires) qui leur sont administrés, il n’en estime pas moins que deux grands problèmes bloquent encore le développement de cette activité au Sénégal : la baisse de la qualité des semences du début.
Ainsi, explique-t-il, « L’une de mes rares satisfactions est cette Holstein (blanc et noir) seulement métissée de 10% qui me donne plus de 10 litres/jour. Les autres même à plus de 50% n’ont pas la même production. » S’ajoute à cela, la fragilité des animaux aux infections quand ils sont nourris directement par des produits autres que le lait de leur mère. Les plus résistantes aux infections sont celles qui sont nourries par leur mère et non au biberon. Tout à côté de la Brune des Alpes, la souffrance de ce veau de moins d’un an qui souffre de dermatoses nodulaires sous les pattes, inquiète l’éleveur. Traité aux antibiotiques (Ivomec), l’animal pourrait s’en sortir.
Mais, le prix n’est pas donné, car estimé à quelque 19 000 FCFA (29 euros) pour chaque traitement. « Tout cela n’est rien, souligne P. Seck, face aux supplices que nous impose le traitement contre les tiques. Ils font plus de ravages chez les espèces exotiques.» Le manque de réaction de l’Etat malgré ses nombreuses promesses, reste aussi un problème. Face au succès des élevages pour les volailles, l’introduction de races laitières, reste coincé dans son développement au Sénégal, par de nombreux problèmes qui ont nom : mauvaise qualité des semences fournies par l’Etat comparées au début de l’opération entre 1990 et 1997.
La difficulté de bien soigner et nourrir les animaux. Encore, l’hypersensibilité de certaines races aux maladies dites tropicales au premiers desquelles, la fièvre aphteuse et les dermatoses. L’absence d’un numéro vert pour les cas d’urgence s’ajoute à ces contraintes.
FAITES CONNAISSANCE AVEC LA BRUNE DES ALPES
Solide et à l’aise dans tous les milieux, la Brune des alpes n’a pas fini de séduire de plus en plus d’éleveurs. Rencontre avec une vache aux aptitudes fromagères exceptionnelles. États-Unis, Canada, Mexique, Argentine, Italie, Allemagne, Slovénie, Ukraine, Turquie, Sénégal, Zaïre, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Inde, Japon, Thaïlande… : la Brune est présente sur tous les continents de la planète ! Avec 10 millions de têtes, cette vache le plus souvent vêtue de gris s’impose comme la deuxième race laitière du monde derrière la Holstein.
D’origine suisse, elle été appelée « Brune des Alpes » pendant longtemps ; ce qui ne l’empêche pas de s’adapter sans peine aux climats chauds. Grande voyageuse au cours des derniers siècles, elle est arrivée en France en 1786, où elle s’est installée dans le Nord-est (Côte d’Or) et dans le sud du Massif central (Tarn) ; deux zones qui restent encore aujourd’hui ses berceaux. Elle est aussi très présente dans l’Ariège, autre région historique. Malgré de très bonnes aptitudes de production de viande et de travail, la Brune a été orientée vers une carrière laitière dès les années 1970. C’est surtout une fromagère exceptionnelle : très riche en protéines, son lait est caractérisé par une nature de caséines assurant un rendement fromager supérieur à celui des autres vaches.
Par ailleurs, il coagule plus rapidement et donne un caillé consistant et résistant. Il représente ainsi près des deux-tiers du lait transformé en appellation d’origine contrôlée (Aoc) époisses. Toutefois, malgré cette spécialisation laitière, la Brune présente des aptitudes bouchères intéressantes, notamment pour la production de taurillons et de veaux de boucherie.
SOurce:http://www.sudonline.sn/le-pari-os%C3%89-des-petites-fermes-familiales_a_21968.html