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Jean Pierre Ndiaye, ancien chroniqueur Jeune Afrique : Tranches de vie d’un passeur d’idées
« Jean Pierre je m’appelle, Jean Pierre je reste… Mon prénom, Jean Pierre, c’est comme les 25 lettres de l’alphabet qui, je le rappelle, n’est pas non plus africain. Ce prénom de consonance française et d’origine hébraïque est totalement nègre par le fait de ma volonté et de mon affectivité prégnante ; il s’accorde tout naturellement à mon patronyme Ndiaye… ».
Ainsi répliquait Jean Pierre Ndiaye, ancien chroniqueur à Jeune Afrique, dans le numéro 1388 du 12 août 1987. Ce sont quelques bribes de la réponse de Jean Pierre Ndiaye à un lecteur de Mauritanie qui, mécontent d’un article critiquant le président Taya, lui avait dit que son prénom n’est pas africain. Dans ce propos, on retrouve très vite le chroniqueur acerbe, défenseur des droits et des libertés, l’observateur de la société qui a toujours revendiqué son appartenance aux idées de gauche.
« Non, je ne suis pas athée, je suis catholique », réplique-t-il quand je lui pose la question sur sa religion. Chroniqueur célèbre, Jean Pierre Ndiaye est une des grandes plumes du magazine Jeune Afrique des années 1960 à 1980 ; l’homme a vieilli. Son apparence très commune fait penser à un artiste. Un bracelet ethnique au poignet et deux ou trois mèches rebelles de cheveux blancs style « dread locks » pendent au-dessus de ses épaules. Sa silhouette de taille moyenne, un peu trapue, se détache sur une chemise bleu claire à longue manche et un pantalon en coton de couleur sombre, un col noir jeté par-dessus l’épaule prévoit les coups de vent et le froid qui descend le soir. Une bonne paire de chaussures de marche complète ce tableau, mais vous vous tromperez de personne si vous ne voyez pas l’éternelle casquette « torpédo » devenue un signe distinctif du « redoutable » chroniqueur que Jean Pierre Ndiaye a incarné pendant plus de deux décennies au magazine Jeune Afrique.
Une longue absence du pays
Volubile quand il parle de sa passion, le combat pour les idées, l’Afrique et le monde noir, le doyen Jean Pierre Ndiaye qui boucle ses 78 ans a gardé ses petits gestes du bras et de la main qui accompagnent son propos et ponctuent son argumentation.
Pourquoi cette longue absence du pays ? Les raisons sont objectives. « Depuis la chute de Mamadou Dia, en 1962, j’ai décidé de ne pas rentrer au Sénégal tant qu’il n’y aura pas un multipartisme, c'est-à-dire une liberté d’expression, parce que moi, ce qui m’intéresse, ce sont les idées, et dans ma démarche intellectuelle, les idées commencent par la liberté d’expression, alors que du temps de Senghor, il y avait une limitation excessive de la liberté d’expression ».
La première fois qu’il est revenu au pays, c’était en fait dans les années 1970, quand il s’est réconcilié avec le chef de l’Etat d’alors qui était Senghor. Jean Pierre Ndiaye était devenu quasiment « persona non grata » du fait du soutien qu’il apportait, depuis la France, aux oppositions sénégalaises qui étaient là, à une époque où il n’y avait pas encore de multipartisme...
« C’est un événement important de mon itinéraire. Cette réconciliation est d’autant plus marquante pour moi qu’elle a coïncidé avec un événement assez grave… La mort de l’étudiant normalien Oumar Blondin Diop. Ce drame fait la Une des journaux ; ceux de France en particulier. Les intellectuels français à Dakar, comme en France, condamnent le président sénégalais et l’accusent d’être responsable de la mort d’Oumar Blondin Diop.
Le célèbre chroniqueur de JA décide de faire un article intitulé « Ultime espoir » où il se désolidarise des attaques contre Senghor et son pouvoir.
« Pour moi, la mort d’Oumar n’était pas du fait de Senghor, je le sais. Il évoquait les droits de l’Homme alors que ses geôliers étaient dans une logique très brutale …». En terminant son article, Jean Pierre Ndiaye défend le point de vue selon lequel « le Sénégal a atteint un stade de maturité exceptionnelle, dans une situation exceptionnelle, et il faut laisser le chef de l’Etat prendre des mesures qui répondent à une telle situation ».
Il fait des propositions pour retrouver de l’oxygène et faire du Sénégal un exemple pour l’Afrique: libération des prisonniers politiques, avec le recouvrement de leurs droits civiques. Nous sommes dans les années 1972, 1973. Et le magazine Jeune Afrique était interdit depuis deux ans à cause de l’article « Sénégal, heure de vérité » du même Jean Pierre Ndiaye.
Homme de dialogue et fin diplomate, Senghor invitera à ce moment le chroniqueur de JA à l’accompagner dans ses voyages à travers le monde, en Chine, en Inde, en Corée, en Afrique du Nord, dans les pays arabes, etc. « Durant les voyages, il va me dire beaucoup de choses, notamment qu’il va libérer les prisonniers politiques. Cela s’est fait près de deux ans après et il avait même amnistié ceux qui étaient partis ».
Liberté de choix des sujets d’article
Le passage à Jeune Afrique aura bien marqué la vie de ce militant des idées qui veut dédier ses écrits et ses actions à la cause des droits de l’Homme.
Le patron du journal, Béchir Ben Yahmed, lui laisse les coudées franches. « Dans la rédaction de Jeune Afrique, je n’avais pas un statut de journaliste, comme les Siradiou Diallo ou les Sennen Andriamirado, j’avais un rôle particulier en tant que chroniqueur, j’avais une liberté de choix de mes sujets et d’écrire ce que je pensais ». Jean Pirere Ndiaye raconte sa fréquentation avec les grands intellectuels Jean Paul Sartre, Gontran Damas. Il a eu trois livres édités chez « Présence Africaine » d’Alioune Diop qui le soutenait. Ce sont : « Elites africaines et culture occidentale »(1969) ; « Négriers modernes »(1970) ; « Monde noir et destin politique » (1976).
Arrivé en France clandestinement, à bord de l’un des nombreux bateaux qui relient le continent africain à l’Europe, Jean Pierre Ndiaye n’a que 15 ans quand il découvre l’Occident, sa culture, son monde. Sous la tutelle de son oncle maternel, il sera en internat chez les jésuites de Toulouse. Plus tard, son éveil à la politique arrive avec des lectures comme « Le zéro et l’infini » d’Arthur Koestler. Les rencontres se multiplient avec les jeunes de toutes les nationalités à travers l’Europe. En 1956, au nord de la France, Jean Pierre Ndiaye entre en contact avec les militants algériens révoltés par l’occupation française.
Amoureux du jazz et à l’écoute des Etats-Unis, à l’époque, il est invité par une université. On lui demande de venir animer un séminaire sur son premier livre intitulé « Enquête sur les étudiants noirs en France » (1961).
Il a ainsi l’occasion de rencontrer les Black Muslim, puis de fil en aiguille des célébrités comme Malcom X, Dizzie Gillespie et bon nombre de noirs Africains américains très en vue avec qui il va travailler pour ce combat pour les idées. Sa femme et ses enfants nés en France, ont la nationalité française, mais l’homme a gardé farouchement sa nationalité sénégalaise. Pour lui, c’est d’abord une question de cohérence avec son combat.
Aujourd’hui, il vit entre Paris et Londres et ne veut pas prendre de retraite pour l’écriture. Un article de temps à autre dans un journal, oui, mais surtout ses « Mémoires » lui tiennent à cœur.
Il se réjouit de la libéralisation de la presse en estimant que « c’est un aboutissement de la lutte des peuples ». Pour Jean Pierre Ndiaye, aujourd’hui, la relève est faite, « maintenant je peux prendre mes distances ».
Par Jean PIRES