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iGFM – (Dakar) Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, n’a pas pris de gant, dans son blog, pour s’offusquer de la gestion du virus Ebola qui montre d’une certaine manière qu’aucun enseignement n’a été tiré du passé en dépit justement justement de la gravité que peut provoquer cette maladie qui a tué à elle seule et ennquelques mois plus 120 spécialistes de la santé. iGFM fait, ci-dessous, l’économie de sa réflexion.
« En mars dernier, lorsque les autorités guinéennes ont annoncé les premiers tests positifs au virus Ébola en Afrique de l’Ouest, la nouvelle a été accueillie avec surprise par la communauté scientifique, mais n’a guère suscité de réactions. Après tout, Ébola, qui avait fait plus de 2 000 victimes en 30 ans depuis sa découverte à Yambuku, en République démocratique du Congo, n’était jamais apparu en dehors de la région des Grands Lacs et n’avait jamais été perçu comme une menace pour un pays tout entier.
Il y a environ un siècle, lorsque la grippe espagnole s’est transformée en pandémie, on estime qu’environ 40% de la population a été touchée et environ cinquante millions de personnes sont décédées. Ceux qui étaient en bonne santé le matin, étaient morts à la tombée de la nuit. Plus récemment, nous avons vu les réactions qui se sont produites lorsque le VIH/sida a été découvert.
La panique était générale, les gouvernements refusaient d’octroyer des visas, instauraient des contrôles inefficaces et réagissaient comme si la maladie était transmissible par voie aérienne. Plus récemment encore, on se souvient du SRAS, syndrome respiratoire aigu sévère, qui s’est déclaré il y a une dizaine d’années en Chine et en Asie du Sud-Est.
Ce virus était transmissible par voie aérienne, mais on ne se souvient pas de membres d’équipages de compagnies aériennes refusant de se rendre dans les pays touchés. Encore plus connue, la tuberculose est une maladie infectieuse elle aussi transmissible par voie aérienne. Là encore, il n’a jamais été question, pas même une seule fois, de mise en quarantaine des malades, encore moins des régions ou des pays touchés par la tuberculose.
Il est important de se pencher sur le passé car le continent africain ne peut pas se permettre d’appréhender une menace comme Ébola sans penser l’épidémie dans son contexte. Cela nous ramène à une Afrique stigmatisée. Pas besoin d’insister sur les efforts nécessaires pour régler la crise. Ces perceptions erronées ont déjà des conséquences socioéconomiques dévastatrices.
Pourquoi le virus Ébola a-t-il frappé si fort?
Le virus Ébola a été stoppé à chaque fois qu’une épidémie s’est déclarée, soit à treize reprises, mais cette fois-ci cela n’a pas été le cas. Il est important de comprendre pourquoi et de tirer les leçons des dysfonctionnements qui ont conduit aujourd’hui à cette situation d’urgence.
Entre autres facteurs, les systèmes de santé des pays touchés sont défaillants, l’information circule mal et une bonne communication fait cruellement défaut. Nous pouvons regretter la vétusté de nos infrastructures de santé, notamment dans les zones rurales reculées, sans oublier l’énorme pénurie de personnel médical pour contrer toute pandémie.
Les Africains ont le droit de s’indigner de voir que seul 1% de la recherche pharmaceutique est consacré aux maladies qui touchent le continent, alors que ce dernier représente 25 % de la charge mondiale de la maladie. Tout cela est vrai et malheureusement bien connu.
Le fait que la grippe ne tue qu’environ un demi-million de personnes par an ou encore que le taux de mortalité lié au SRAS n’ait été que d’environ 12% quand celui dû à Ébola atteint les 54% s’explique par les capacités solides dont disposent les pays occidentaux ou les pays d’Asie du Sud-est. Ce ne sont ni la nationalité, ni l’origine des malades qui sont en jeu.
Aujourd’hui, Ébola est présent dans sept pays d’Afrique; 2 000 personnes en sont mortes et on estime que 20 000 autres sont touchées. Rien, absolument rien, dans la gestion actuelle de la situation ne pourra empêcher que demain la moitié des pays africains soient touchés à leur tour. Chaque pays africain qui met en place des mesures draconiennes non justifiées sur le plan médical doit être conscient qu’il risque fort lui-même de tomber sous le coup de mesures similaires dans un avenir proche.
Cela nous amène à la question de la solidarité!
Plus que de solidarité, notion qui fait loi dans cette maison, il s’agit aujourd’hui de bon sens. Seuls des investissements massifs permettront de s’attaquer d’urgence aux facteurs qui ont contribué à la propagation de l’épidémie et de vaincre Ébola.
Les pays à l’épicentre du virus sont dépassés et ils ont besoin de l’Afrique tout entière pour mettre un terme à la désinformation et se joindre à l’appel lancé en faveur d’un financement substantiel des mesures de contrôle de l’épidémie. Selon les estimations de l’ONU, il faudrait disposer immédiatement de 1 milliard de dollars.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a arrêté une feuille de route claire pour ce processus. Que l’Afrique fasse preuve de solidarité pour la mise en place de ces mesures d’urgence sans plus d’atermoiements est le minimum que nous puissions attendre. Le temps presse. Voilà ce qu’est la vraie solidarité.
Les incidences économiques
L’épidémie d’Ébola va avoir des conséquences économiques importantes. Selon les estimations de la Commission économique pour l’Afrique, une réduction de plusieurs points du PIB est à prévoir en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, en raison d’une combinaison de facteurs.
On peut citer, entre autres, une réduction significative de l’exploitation minière, la perturbation des cycles agricoles avec des incidences directes sur les récoltes à venir, la restriction des échanges intérieurs et transfrontaliers, la réduction sensible des voyages aériens, le report des investissements déjà négociés ou prévisibles, une réorientation radicale des fonds publics aux fins de la lutte contre l’épidémie, des incidences sur l’espace budgétaire et, enfin, l’impossibilité de poursuivre les réformes engagées.
Les investisseurs sont influencés par le vent de panique propagé par les médias: ils pensent qu’il est risqué de traiter avec des pays entiers. C’est comme si le virus Ébola, dont la transmission se fait par les fluides corporels, était passé de l’être humain à des pays.
Cette réaction est alimentée par les cercles concentriques des mesures de quarantaine, des bouclages de quartier et des fermetures de frontières, tous très médiatisés par la presse internationale. L’équipement porté par le personnel médical qui peut se le permettre nous rappelle les images de Tchernobyl et de Fukushima.
Conséquences économiques et conséquences sociales vont souvent de pair. Les acteurs humanitaires se plaignent que, au lieu d’être accueillis à bras ouverts, ils se heurtent à des restrictions.
La stigmatisation ethnique ou régionale a des conséquences énormes pour des groupes de la population qui étaient déjà été isolés géographiquement. Les personnes qui pensent avoir des symptômes ne sont pas sûres d’avoir Ébola, mais elles sont convaincues que le diable est dans les hôpitaux.
Les questions en jeu, qu’il s’agisse des comportements (qu’est-ce que la personne mange, est-ce qu’elle respecte les normes d’hygiène) ou du droit fondamental à des soins ou à une mort décente, exigent de notre part humanité et compassion. Plus de la moitié des victimes sont des femmes. Les hausses de prix des denrées alimentaires et les perturbations ou fermetures qui frappent les marchés locaux menacent des modes de consommation déjà fragiles.
Les Africains ne parviendront à gagner le combat que s’ils réagissent face à la propagation de la maladie. Certes, les vaccins peuvent et doivent jouer leur rôle, mais à ce stade, ils ne sont pas l’élément central de notre réponse.
Le sérum obtenu à partir des survivants d’Ébola est déjà considéré comme la solution la plus immédiate pour les victimes qui arrivent dans une unité médicale, mais il nécessite des moyens et des capacités considérables.
Il nous faut d’abord des installations. Il importe de mettre en particulier l’accent sur le confinement, la prévention et la préparation. C’est la première fois dans l’histoire qu’un nombre aussi élevé de membres du personnel médical, 120 à ce jour, meurent d’une maladie transmissible. Ce n’est possible que si l’on ne possède pas le matériel de base.
Le monde montre qu’il a « désappris » en ce qui concerne les maladies infectieuses, au lieu de tirer des enseignements des connaissances accumulées. Ébola n’est que le dernier épisode de l’hystérie qui accable périodiquement le continent. Cette fois-ci, au lieu d’y succomber, les Africains doivent se battre. »
Par Carlos Lopes
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