Les acteurs de la société civile, notamment ceux du Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce) et de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte) ne sont pas les seuls à s’interroger sur la qualité des concertations menées autour du processus électoral. Après leur sortie parlant presque «d’échec» du dialogue politique au regard de la «faiblesse» des résultats enregistrés (seuls deux thèmes ont fait l’objet de consensus sur huit en discussion), Sud Quotidien prête la parole à deux spécialistes de la question politique. Interpellés hier, jeudi 22 février, Dr Momar Thiam, expert en communication, et l’Enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Dr Maurice Soudieck Dione, décortiquent le nœud du problème. DR MAURICE SOUDIECK DIONE, ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’UGB DE SAINT-LOUIS : «On ne peut pas parler véritablement de dialogue, dès lors que...»
On ne peut pas parler de dialogue véritablement, dès lors que les forces essentielles de l’opposition ne sont pas concernées. Les organisations de la société civile n’exercent qu’un rôle de facilitation, mais elles ne peuvent pas faire grand-chose si les principaux acteurs intéressés ne veulent pas dialoguer. En réalité, le problème profond qui se pose est lié à une crise de confiance entre les différents protagonistes du jeu politique. Les modifications unilatérales des règles de la compétition politique par la coalition au pouvoir, de même que l’organisation chaotique des Législatives du 30 juillet 2017, véritable régression démocratique de plus de vingt ans en référence à la mascarade électorale des Locales de 1996, en sont essentiellement les causes. Donc, on se retrouve dans une situation pernicieuse, car la rupture du dialogue peut nourrir l’unilatéralisme, en ce sens que le régime en place peut être amené à prendre d’autres décisions en manière électorale et creuser davantage le fossé qui existe, par là même aggraver les dissensions avec l’opposition.
En fait, on est en train de se détourner d’une analyse objective du conflit. Car dès l’instant qu’il y a suspicion, déficit au défaut de confiance entre les acteurs, le problème est faussé au départ. Il convient par ailleurs de relativiser même les prétendus points d’accord. Car, l’audit du fichier par des experts indépendants n’engage pas la frange la plus représentative de l’opposition ! La refonte partielle des listes électorales n’est pas en tant que tel un acquis, car, de toute façon, le Code électoral, en son article 39, exige une révision annuelle des listes électorales et une révision exceptionnelle avant toute élection générale ; et alors même qu’on a procédé pour les élections législatives de 2017 à la refonte totale du fichier, et que des milliers de citoyens attendent encore de disposer de leurs documents de vote ! Donc, on peut dire en définitive que ce dialogue n’a rien donné, si tant est qu’on puisse effectivement parler de dialogue. L’opposition significative, quant à elle, a mis en place un cadre de concertation et d’action. Est-ce une stratégie pour faire monter davantage la pression et obtenir un rapport de forces à son avantage ? Quoi qu’il en soit, je pense que les différents acteurs, pouvoir comme opposition, doivent revenir à la raison et privilégier le sens des responsabilités et éviter de prendre les Sénégalais en otage.
DR MAMADOU THIAM, EXPERT EN COMMUNICATION ET DG DE HEIC : «Nous avons au Sénégal ce que j’appelle la problématique du fichier électoral»
À chaque fois qu’il y a une élection qui se profile à l’horizon, nous avons au Sénégal ce que j’appelle la problématique du fichier électoral parce que tout simplement, le pouvoir et l’opposition se regardent en chiens de faïence. C’est comme le « Je t’aime moi non plus » si je peux ainsi caricaturer. Du coup, l’opposition soupçonne que le fichier n’est pas fiable. En réaction, le pouvoir met légitimement en place un processus de concertation et d’audit du fichier électoral avec la société civile et l’expertise indépendante qui a abouti, d’après les conclusions, à 98% de fiabilité du fichier. Néanmoins, aujourd’hui, c’est cette société civile qui revient pour nous dire que finalement, ces rencontres autour du processus ont été un échec parce que, disent-elle, sur les huit points inscrits à la discussion, il n’y a que deux sur lesquels pouvoir, opposition et société civile y compris sont tombés d’accord. On ne sait donc pas quelque part à quel saint se vouer. Mais, je pense que, légitimement parlant, ces tiraillements résultent du fait que chacun veut se faire entendre surtout l’opposition, sur cette question-là qui, à mon avis, est cruciale pour une bonne tenue des prochaines élections.
Toutefois, je ne pense pas que le Sénégal, avec son niveau actuel de démocratie, puisse se permettre d’avoir un fichier qui n’est pas fiable. Je suis d’avis que même s’il y a une contestation en sourdine derrière, les conclusions qui ont attesté la fiabilité à 98% du fichier électoral sont bonnes. Je ne pense pas aussi que l’appel de l’opposition à un contrôle plus accentué du processus électoral par des organismes indépendants soit une stratégie visant seulement à faire durer le suspense ou acculer le pouvoir. L’opposition cherche plutôt à obtenir des garanties fiables pour une bonne tenue de ces prochaines élections. Mais, on a l’impression d’être en présence aujourd’hui d’un dialogue de sourds où le pouvoir dit que les conclusions sont déjà sorties, où la société civile estime pour sa part que ces rencontres se sont soldées par un échec parce que, dit-elle, deux points seulement sur huit ont fait l’objet de consensus. Mais, à mon avis, le plus important, c’est d’avoir un audit indépendant avec l’ensemble des acteurs du processus électoral. L’Etat doit prendre les garanties nécessaires pour une bonne tenue des prochaines élections.