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Clémenceau concevait l’université comme « un milieu où le développement de la culture mentale favorise le plus la liberté des jugements ». La nôtre a l’habitude de connaitre des crises où la liberté des jugements semble céder au culte de la violence destructrice et gratuite.
Les crises que nous vivons depuis l’année dernière revêtent cependant des caractéristiques particulières. Elles semblent tenir à la mise en œuvre des solutions préconisées par la Concertation nationale sur l’avenir de l’Enseignement supérieur. Qu’on la partage ou non, une vision de l’enseignement supérieur est clairement déclinée comme jamais elle ne l’a été depuis notre accès à la souveraineté internationale. Son opérationnalité est établie à travers une carte universitaire qui, dans un proche avenir, verra la naissance de l’université du Sine Saloum, de celle de Tambacounda, de centres universitaires, d’Instituts supérieurs d’enseignement professionnel (ISEP) ayant vocation à former à divers métiers et de la montée en puissance des écoles d’ingénieurs. Cette mise en œuvre doit être précédée d’un assainissement. Celui-ci a commencé l’année dernière et a naturellement réveillé la colère de tous ceux qui se nourrissaient de certaines perversités du système. La fonction de service
Si son rôle est important dans la mobilisation de ressources propres additionnelles pour les universités, son encadrement par une réglementation stricte et la transcription dans les budgets de l’université des ressources qu’elle génère étaient devenues indispensables. Pour ne heurter aucune susceptibilité, prenons un exemple anonyme dans lequel plusieurs facultés et unités de formation et de recherche pouvaient se reconnaitre, il n’y a pas si longtemps. Une faculté annonce qu’elle ne peut pas accueillir plus de 50 étudiants.
Sur cette base, elle sélectionne les nouveaux bacheliers qu’elle inscrit « officiellement » et reçoit une subvention de l’Etat. Parallèlement, elle en prend 500 (rien n’est exagéré !). Ces 500 qui ont le statut de « privés » payent chacun 75 000 F par mois ou 1 300 000 F par an, selon la formation suivie. Ils bénéficient des mêmes enseignements dispensés par les mêmes enseignants dans les mêmes locaux de l’université publique et obtiennent le même diplôme. L’argent qui en est tiré et qui se chiffre en centaines de millions (et même quelques milliards à l’échelle d’une université comme l’UCAD) n’est retrouvé que dans une faible proportion dans les caisses de l’université. Le reste sert évidemment au fonctionnement et même à des investissements importants dans ces services venus, mais il y a aussi un partage de fortes sommes entre une minorité d’enseignants initiateurs de la fonction de service, des personnels administratifs et aussi plusieurs personnes extérieures à l’université. Ce dernier aspect confère à l’affaire une allure maffieuse avec certaines tentacules qui font penser à la ‘Ndrangeta calabraise. Le crime de sang en moins, fort heureusement ! Il ne faut pas en parler au risque de recevoir les cailloux de certains collègues sur la tête.
L’année dernière, l’Etat prend l’initiative de payer des écoles privées dont les programmes sont évalués et approuvés par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), pour accueillir les flux de bacheliers que le public n’a pas pu absorber. Ceci a eu au moins deux effets. D’abord, les parents ne payent pas. L’argent qu’ils payaient pour leurs enfants est un manque à gagner pour les fonctions de service. On pourra toujours nous rétorquer que par cette décision l’université est privée de certaines de ses ressources importantes et que l’Etat supporte des charges supplémentaires. Ensuite, l’herbe est coupée sous les pieds de ceux qui bénéficiaient exagérément de la manne des fonctions de service. On peut aisément imaginer le rôle de ces personnes dans la grève de la faim que des bacheliers avaient observée pour ne pas s’inscrire dans des écoles privées. Quand ces bacheliers ont compris leur erreur et ont demandé à être inscrits, leur année était déjà perdue. Ils ont mené un combat qui n’était pas le leur.Les droits d’inscription
Théoriquement, ils n’avaient pas varié depuis plus de 40 ans et tournaient autour de 5 000 F. Théoriquement seulement. A côté de ces droits, une panoplie de droits pédagogiques était exigée des étudiants pour permettre aux facultés de fonctionner. Le problème est que l’utilisation de ces fonds, et même leur montant, échappait totalement au comptable de l’Etat. Personne ne peut douter d’ailleurs qu’ils étaient utilisés à bon escient et ont même été toujours insuffisants. Mais l’Agent comptable particulier doit répondre de toute la comptabilité de l’université. En toute orthodoxie.
Aujourd’hui, les droits ont certes augmenté. Les multiples droits pédagogiques ont disparu. Je ne m’aventure pas à dire si, l’un dans l’autre, l’étudiant y gagne ou y perd. Ce qui est sûr, c’est que le nouveau système est transparent. Prenons l’exemple d’une autre faculté X qui ne relève pas du tout de la Science-fiction. Cette faculté a une grande réputation internationale et a formé de très nombreux cadres africains. Ces dernières années, son mode opératoire était le suivant. Un quart seulement des étudiants inscrits y subissaient une sélection stricte. Une partie importante des autres étudiants était composée des enfants des personnels et de leurs alliés.
La dernière partie était composée des enfants dont les parents pouvaient payer un million de francs par an la place sans que l’université n’ait aucun contrôle sur les sommes ainsi amassées. Mais n’allez surtout pas croire que des collègues se les partageaient, l’accusation serait trop grave. Toujours est-il que l’Etat a augmenté le nombre de places et exigé que la sélection soit le seul critère d’accès. Conséquence : les grèves étaient bizarrement très nombreuses cette année dans cette faculté qui jadis, ne bougeait pas. Les étudiants ont encore mené un combat qui n’était pas le leur. Les commanditaires de leurs mouvements évoquent naturellement d’autres difficultés réelles ou supposées.
Les bourses
Au Sénégal, toutes les allocations sont appelées bourses. Peu importe qu’il s’agisse de vraies bourses ou d’aides. Or l’allocation qui a été généralisée par le régime de Me Wade est celle de 60 000 F par an. Ce qui est à son honneur. Cette généralisation n’est pas remise en cause, le montant des bourses n’a pas été diminué non plus, contrairement à une fausse rumeur savamment distillée par des faiseurs de crises aux motivations inavouables. Ce qui a changé, ce sont les critères d’attribution dont voici la substance :- un seul redoublement est autorisé par cycle. Tout second redoublement dans un même cycle (Baccalauréat + 2, licence, master, cycle préparatoire et cycle ingénieur), entraine la suppression automatique de la bourse qui ne peut plus être récupérée dans le même cycle.(Cela signifie qu'au cycle suivant, l'étudiant peut prétendre à nouveau à une bourse).- le redoublement en master 2 entraine la perte de la bourse(Beaucoup d'étudiants s'inscrivaient en Master, touchaient 60 000 F par mois et allaient faire autre chose).- la revalorisation de la bourse ainsi que l'attribution d'une bourse à la suite de réussite aux examens, sont accordés sur la base du nombre de bourses entières ou de demi-bourses qui est fixé, chaque année d'un commun accord, entre le Ministère de l'Economie et des Finances et le Ministère en charge de l'enseignement supérieur.- tout étudiant âgé de plus de 30 ans ne peut plus prétendre à une bourse pour aucun cycle sauf dérogation exceptionnelle pour le cycle de doctorat.- pour compter de cette année, le paiement de la bourse ne peut s'opérer que sur la base de la présentation d'un certificat d'inscription dûment établi par l'établissement de l'étudiant concerné pour la nouvelle année universitaire.Il est difficile de déceler un scandale dans ces règles. Bien sûr, les quotas qui étaient réservés à des bureaux d’amicales et certains privilégiés n’existent plus. Bien sûr, les étudiants professionnels qui pouvaient rester plus de 15 ou 20 ans à l’université tout en bénéficiant de bourses et en contrôlant presque tout (chambres, bourses, etc.), vont devoir se mettre à la recherche d’un emploi. Mais le plus gros scandale se trouve dans les bourses qui étaient attribuées à des personnes qui n’ont rien à voir avec les institutions de l’enseignement supérieur, par un mode opératoire qu’une enquête va dévoiler mais dont on peut se douter déjà qu’il relève de méthodes mafieuses.
Des étudiants fictifs (combien ?), grassement payés par le contribuable avec l’utilisation de comptes dits dormants, ont toujours infecté les fichiers de la direction des bourses. Ces bourses ne servaient-elles pas d’ailleurs à rémunérer des personnels politiques. Quoi qu’il en soit, la violente levée de boucliers pour réclamer la tête du ministre qui a osé fouiner dans ce m…, dépasse largement les préoccupations des étudiants qui eux, ont souvent des revendications simples et légitimes. Les vérifications en cours vont aussi révéler le nombre d’étudiants fictifs inscrits sur les fichiers de certaines universités et qui sont boursiers de l’Etat. Cette révélation se fera par simple comparaison des fichiers des facultés qui recensent des « étudiants réels » et les fichiers centraux. Je puis affirmer que dans une petite faculté de l’UCAD, 400 étudiants boursiers fictifs sont d’ores et déjà recensés.
La mafia a trouvé des accointances avec certains politiciens
Le plus drôle dans les réactions de politiques, c’est celle de cet ex-conseiller du président de la République, dont on se demande ce qu’il est capable de conseiller et qui pourtant a conseillé Diouf, Wade et… Macky. Ou, cet ex-futur 4ème Président qui s’emmêle les pinceaux dans sa nouvelle stratégie de conquête du PDS. Le PDS est le parti le plus intéressé par cette situation qu’elle n’a pas pu provoquer seul ; le contexte d’un certain procès en est la raison.
Les motivations de tout ce beau monde procèdent de calculs qui n’ont rien à voir avec les revendications étudiantes.Et puis, il y a eu malheureusement Balla Gaye et d’autres drames qui ont frappé des étudiants. Chaque fois, on réclamait la tête du ministre de l’intérieur. On pourrait aussi comprendre qu’on demande la démission de l’Argentier de l’Etat qui tarde tous les mois à payer les bourses des étudiants, alors que cette question est une source mensuelle de violences innommables. Mais pourquoi vouloir lyncher le ministre qui se contente d’envoyer la liste des boursiers à son collègue des finances ? La réponse est simple : il s’attaque à une mafia qui est prête à tout pour défendre ses intérêts. Les politiciens (pas les politiques) de l’opposition cherchent à empêcher la réussite des réformes engagées dans l’enseignement supérieur, sans se soucier de l’avenir de nos enfants. Ils sont naturellement aveuglés par le seul souci qui vaille pour eux : l’échec de l’adversaire.
J’appelle tous les patriotes, à commencer par mes collègues enseignants, quels que soient leurs parti, syndicat, organisation de la société civile, etc., à examiner sereinement le nouveau chemin emprunté par notre enseignement supérieur. J’appelle les étudiants, nos enfants, qui sont les éternels perdants de la violence, à user de leur liberté de jugement pour apprécier les situations avec discernement. Je leur demande de faire attention aux manipulations, de prendre la bonne information pour chaque chose et de privilégier les arguments à la violence. J’appelle tous les patriotes (mais seulement les patriotes) à faire fi de leur appartenance politique pour contribuer à la réussite des réformes en cours qui, si elles sont ratées, ne seront pas rattrapables avant de nombreuses générations. J’appelle le Président de la République, j’appelle le gouvernement de mon pays à assurer le paiement de toutes les bourses des étudiants avant le 5 de chaque mois. Ceci doit devenir une priorité absolue si on veut enrayer définitivement la violence dans nos universités.
Amadou Makhourédia DIOPDépartement d’économie et sociologie ruralesEcole nationale supérieure d’agriculture (ENSA)Université de Thiès
source : http://www.sudonline.sn/universites--derriere-les-crises-une-mafia-_a_20501.html
Sénégal - Universités : derrière les crises, une mafia ?
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