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Existe-t-il un apartheid à la française ?

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Dans les ghettos miséreux de Marseille, comme la Castellane, qui rappellent l'anarchie urbaine des banlieues de Yeumbeul à Dakar ou de Yopougon à Abidjan ; dans les cités du département 93 où l'insécurité, les tours insalubres et enclavées, le chômage endémique, le sentiment d'abandon et d'injustice sociale renvoient à l'image de Soweto en Afrique du Sud, on décrie une  ségrégation systémique aux allures d'apartheid. D’ailleurs, le Premier ministre français Manuel VALLS, affirmait en janvier 2015 qu’un « apartheid territorial, social, ethnique » s’est imposé en France. Ses propos ont suscité de vives critiques. Apartheid ou pas, la discrimination, la ghettoïsation et   la stigmatisation dont souffrent les minorités ethniques en France ne peuvent plus  être camouflées.

Discrimination ou ségrégation ethnique ? 

Malgré les lois françaises proscrivant les références ethniques et les discriminations, la souffrance indicible des minorités visibles crée une scissure sociale à l’évolution inquiétante. Avec l’apartheid en Afrique du Sud il y avait une discrimination LÉGALE au profit des Blancs, contre les Noirs. En France il y  a une discrimination DE FAIT au profit des autochtones (Blancs) et au détriment des  minorités ethniques (Noirs, Arabes, etc.).  Des politiques de droite ont considéré l’allusion du premier ministre français à l’apartheid comme une insulte à la République, insistant sur le fait qu’il n’existe aucune organisation juridique de la discrimination en France, contrairement à l’apartheid. Ce qui est vrai. Mais les Bobos et autres bien-pensants de droite et d’extrême droite oublient (ou feignent d’oublier) que pour celui qui subit la ségrégation la source importe peu, la souffrance est la même. Sans savoir ce que la ségrégation ethnique fait éprouver aux minorités, ils s’arment de leurs théories d’énarques ou d’instituts d’études politiques ; se bornent à des déductions artificielles, et pour certains, sans jamais avoir mis le pied dans une de ces banlieues. Les discriminations  à l’embauche, dans l’exercice du travail, à l’acquisition d’un logement décent, à l’entrée de certains restaurants ou discothèques contre les Noirs et les Arabes font partie du quotidien. L’accès aux écoles prestigieuses et aux postes de responsabilités est accidentel pour eux. Mais les media n’orientent pas assez leurs projecteurs sur le mal-être de ces banlieues. Par contre ils s’y bousculent lorsqu’il s’y passe des émeutes ou des évènements négatifs, témoins de la fracture sociale. Cette dégradation de leur réputation renforce les discriminations basées sur l’origine, la couleur ou la religion.

 

Ghettoïsation ou Soweto à la française ?

Le quiproquo sémantique sur l’existence ou non d’un apartheid témoigne d’un malaise français : comment intégrer les minorités sans injustice ni dépouillement identitaire ? On ne peut pas nier la relégation périurbaine dont font l’objet les minorités ethniques en France. Dans les tours insalubres des banlieues dormantes de la région parisienne, il y a une surreprésentation des Noirs, des Arabes et d’autres minorités visibles. On y « stocke » des immigrés à faibles revenus et des familles  indigentes. Comme l’a avoué le premier ministre français, on «entasse des populations de mêmes origines et de mêmes religions », avec peu de «blancos »,  peu de « white », selon ses termes. Nicolas Sarkozy à lui aussi fait référence à plusieurs reprises à cette ghettoïsation, alors qu’il était ministre de l’intérieur, puis Président de la République. Dans sa terminologie le ghetto était perçu comme une « zone de non droit » ou la police devait y combattre les délinquants et caïds qui y prospèrent. Alors que dans  ces quartiers la dégradation du cadre de vie, le taux de chômage qui peut atteindre 45%,  l’insalubrité, les bâtiments mal entretenus,  les ascenseurs crasseux et régulièrement en panne favorisent le décrochage social et  le banditisme. Dans des quartiers chics, les autorités municipales refusent d’appliquer la loi leur imposant de construire au moins 25% de logements sociaux. Ils préfèrent payer des amendes et préserver leur confort de vie, loin des minorités pauvres.  Ce confinement des pauvres dans des ghettos rappelle la disparité urbaine de Soweto sous l’apartheid.

 

Stigmatisation ou xénophobie ?

La stigmatisation dont fait l’objet les minorités ethniques se mue progressivement en xénophobie.  Après les violentes émeutes qui avaient agité la France en 2005, les politiques français n’ont proposé globalement que des mesures chirurgicales, et non un diagnostic de la racine du mal pour résoudre les tensions sociales. Les plus véhéments d’entre eux vociféraient, de leur boulimie législative, des mesures répressives qui se sont avérées inutiles à créer une harmonie sociale. La niaiserie et l’acharnement populistes contre l’immigré a amené des hommes politiques à promouvoir une conception eugéniste de la criminalité, et à défendre qu’il faille  repérer chez les marmots de deux ans les bourgeons de la délinquance. Les déclarations et mesures négatives portées sur les minorités ethniques ont renforcé  leur stigmatisation : Jacques Chirac qui dénonçait les bruits et odeurs des familles immigrées ; Nicolas Sarkozy qui promettait de nettoyer des banlieues au Karcher (On se rappelle de ses propos : « Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh ben on va vous en débarrasser.») ; Marine  Le Pen et sa bande qui ne cessent de faire de l’islamisation de la France un fonds de commerce politicien ; etc.  Si un jeune Noir ou Arabe habite dans le 93 (Département de la Seine-Saint-Denis), la probabilité qu’il échoue au Bac; qu’il ne dépasse pas Bac+2 ; qu’il devienne éboueur à la mairie, manutentionnaire, coéquipier  chez Mac Donald’s ou KFC, ou qu’on le regarde comme un dealer, est plus forte que pour un jeune Blanc. S’il habite les villes de Clichy-sous-Bois, Sarcelles, la Courneuve ou Aubervilliers  et qu’il mentionne cela sur son C.V., il prend  le risque d’être discriminé par les recruteurs. 

 

Les politiques français ne peuvent plus se complaire à camoufler le mal, à culpabiliser les victimes ou à faire de leur sort un enjeu de tiraillement politique pour « arracher » les électeurs du front national. Il faut une vraie mixité scolaire, une mixité dans la répartition des logements sociaux, et une politique répressive effective contre les toutes les formes de discrimination, pour rendre à la démocratie française son lustre d’antan et ne pas reproduire, de fait, le schéma de l’apartheid. Espérons que le comité interministériel à la citoyenneté et à  l’égalité, présidé le vendredi 6 mars 2015 par le premier ministre français, apportera des réponses concrètes aux souffrances des banlieusards français.

 

Aliou TALL,

Président du Réseau africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen

(RADUCC)

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