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L’Organisation internationale pour les migrations organise des exercices grandeur nature pour préparer habitants, secours et chaîne de commandement aux crises de déplacements de population.
Une détonation résonne dans la rue poussiéreuse. Les gamins crient, une femme abandonne ses casseroles et s’enfuit loin de ce carrefour commerçant bondé, un homme se réfugie derrière un réfrigérateur. Le convoi de la gendarmerie qui traverse la petite ville de Kidira, bordant la frontière malienne, dans l’est du Sénégal, vient d’être attaqué. Le temps que les gendarmes abasourdis sortent de leurs véhicules arme au poing, les assaillants encagoulés sont déjà loin. A bord du pick-up blanc que le convoi escortait, cinq représentants de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont été tués.
Devant cette scène violente, un groupe d’adolescents rigole doucement. Par cruauté ? Non. Contrairement à d’autres habitants du quartier, eux savent qu’il s’agit d’une mise en scène. Les assaillants sont des acteurs, et les détonations ont été provoquées par des pétards.
es jeunes font partie des dizaines de civils conviés à participer à l’exercice de simulation de crise organisé par l’OIM en collaboration avec les autorités sénégalaises, en jouant le rôle des populations déplacées ou des communautés d’accueil. L’objectif est de mieux préparer leurs réactions et celles des forces d’intervention en cas d’attaque ou de crise migratoire près de la frontière sénégalo-malienne, une bande sinueuse qui court sur 489 km le long du fleuve Sénégal.
Cinq pays limitrophes, 2 684 km de frontières
C’est le premier exercice du genre mené dans la région de Tambacounda, dans l’est du pays. Il est réalisé dans le cadre du projet « Engagement des communautés frontalières dans la sécurité et la gestion des frontières au Sénégal » que financent le département d’Etat américain et son bureau de lutte antiterroriste. Il contribue aussi au Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers du gouvernement sénégalais, qui vise à désenclaver ces zones et à assurer la sécurité des populations. Une première phase du projet s’était concentrée sur les régions limitrophes de la Mauritanie, de novembre 2015 à février 2017.
Si le Sénégal a été choisi comme pays pilote, c’est qu’il est stable dans une région qui ne l’est pas. C’est l’un des seuls Etats de la zone à ne pas avoir été frappés par une attaque terroriste.
Il fait en outre face à de nombreux défis frontaliers : cinq pays limitrophes, 2 684 km de frontières et d’importants flux migratoires. « Nous avons choisi Kidira parce que la ville est située sur l’un des axes les plus utilisés par les migrants pour aller à Bamako puis continuer jusqu’en Libye », explique Massimo Ramanzin, l’un des quinze évaluateurs de l’OIM.
« Un nuage suspect de couleur jaune »
Il est 10 heures, ce mercredi 13 décembre 2017, et le vieux pont ferroviaire qui enjambe le fleuve reliant le Sénégal au Mali baigne dans une lumière orangée. Plus de 150 civils, équipés de brassards rouges pour signaler leur participation à l’exercice, attendent le signal du départ.
« Dans la ville malienne voisine, un attentat au camion piégé a détruit un quartier, faisant de nombreuses victimes et un grand nombre de blessés. Un nuage suspect de couleur jaune s’est formé […] et se dirige vers le Sénégal. […] Des gens fuyant les lieux de l’attentat pour se réfugier au Sénégal sont atteints de troubles respiratoires graves, de cécité et présentent des lésions et vésicules cutanées importantes », raconte le scénario préparé par l’OIM
A 11 heures, les gendarmes sont les premiers à arriver sur place. Puis les militaires de la ville voisine de Bakel, les douaniers, une ambulance et un car du ministère de la santé avec des sapeurs-pompiers suivent dans l’heure. Les civils prennent leur rôle à cœur. Une dame âgée feint le malaise et s’effondre. Quelques rires saluent son jeu d’actrice. D’autres participants commencent à tousser. Certains filment avec leur portable, alors que les militaires tentent tant bien que mal de sécuriser la zone et de calmer les déplacés.
Premier couac, un pick-up pénètre dans la zone sécurisée pour y dresser les tentes de secours. « C’est pas possible ! Ils doivent aller à la zone d’accueil, pas ici », s’agace un représentant de l’OIM. Le véhicule redémarre aussitôt, ses baffles crachant du rap à plein volume.
Ribambelle de pétards
Le préfet vient d’arriver. C’est lui qui doit coordonner les secours. Mais l’information sur l’attentat malien à l’origine du déplacement de population n’a pas remonté la chaîne de commandement et personne ne sait que des terroristes ont probablement infiltré les déplacés. « Ils ont oublié de les fouiller », glisse l’une des évaluatrices de l’OIM.
Alors que les premiers blessés sont évacués en ambulance, une explosion se fait entendre à 100 mètres. Une ribambelle de pétards éclate dans un conteneur, imitant des tirs de mitraillette. Des fumigènes bleus et verts obscurcissent la scène. Hésitants, les gendarmes arrivent. Mais les terroristes ont déjà fui. Les agents remontent dans leur véhicule et repartent sans tenter de les poursuivre ni interroger les témoins de la scène, ce qui agace le chef de la sécurité de l’OIM.
Une erreur révélatrice d’une autre difficulté de ces régions frontalières. Les membres des forces de l’ordre sénégalaises parlent wolof et n’ont donc pas pu interroger les témoins, pour la plupart des commerçantes maliennes parlant le bambara.
Après le deuxième attentat, plus personne ne peut être évacué de la zone d’accueil, car les lieux ne sont pas sécurisés. Les blessés attendent au soleil, cuisant à l’arrière des pick-up, la tête ou les membres entourés de bandages de fortune. Des bagarres éclatent. Une femme crie après avoir perdu son bébé, un homme qui veut partir doit être maîtrisé par des pompiers. Les victimes non blessées attendent en file une évacuation en minibus. Elles demandent de l’eau. Le soleil de la mi-journée écrase les corps. Il fait plus de 35 °C et, une heure après le début de l’exercice, tout le monde est épuisé.
« L’important, c’est de voir comment les différents acteurs de l’intervention s’adaptent à des rôles qui diffèrent de leur mandat habituel, avance Massimo Ramanzin. Le problème, c’est qu’ils manquent de formation, de matériel et d’hommes. Un tel exercice permet de repérer les failles les plus importantes du dispositif de secours et d’intervention. »
Un bilan mitigé
Une dernière attaque sur le convoi de la gendarmerie et l’exercice s’achève, trois heures après son lancement, à la zone d’accueil, où les participants civils reçoivent des kits d’hygiène avec savon, serviette, shampoing, etc. – « les mêmes que ceux que nous distribuons aux véritables déplacés », confie une représentante de l’Organisation internationale pour les migrations. Alors que le préfet se félicite de « la bonne réactivité » des forces régionales, le bilan côté OIM est plus mitigé.
« L’antenne radio installée par l’armée dans la salle de crise n’arrivait pas à couvrir toutes les communications, avance M. Ramanzin. Les informations du terrain ne pouvaient donc pas remonter correctement jusqu’à la cellule interministérielle de crise. Et les secours ont dû, à cause d’un manque de personnel, venir des villes de Bakel et Tambacounda. Les routes étant en mauvais état, ils sont arrivés très en retard. »
Des exercices de ce type ont été réalisés depuis 2015 au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad. L’OIM prévoit de les étendre au Nigeria et peut-être à la Guinée l’année prochaine. « Nous voulons augmenter leur nombre et leur fréquence afin de mieux sensibiliser les populations à la question migratoire et préparer les autorités à réagir efficacement lors d’attaques », conclut M. Ramanzin. Une tâche colossale mais nécessaire dans cette région où la pression migratoire croissante et le développement des trafics criminels transnationaux posent des défis majeurs.
SOURCE : En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/01/02/quand-des-terroristes-passent-la-frontiere-un-scenario-catastrophe-teste-au-senegal_5236860_3212.html#hQBxBORCqV6lryyB.99