Au Sénégal, le fructueux business des déchets électroniques occidentaux
Écrit par SENETOILE NEWSAu Sénégal, l’économie informelle des déchets électriques et électroniques expédiés par les pays riches se porte bien. Mais ce recyclage, loin de respecter les normes de sécurité, s’avère très nocif pour la santé et l’environnement.
Dakar (Sénégal), reportage
Ordinateurs portables, câbles, télévisions, mixeurs… Le marché populaire de Colobane, au centre-ville de Dakar, est le temple de la récupération. Les bâtiments jouxtant le marché abritent dans un dédale de couloirs une trentaine d’ateliers minuscules où des hommes s’activent à changer des écrans cassés, ouvrir un ordinateur ou démonter un ventilateur.
Depuis une vingtaine d’années, Alioune Dione répare jusqu’à vingt-cinq téléphones par jour dans son petit atelier. Tous sont importés, principalement d’Europe mais aussi des États-Unis. « C’est comme si tous les appareils qui ne fonctionnaient pas étaient envoyés ici, en Afrique », commente le gérant d’un magasin d’électronique dakarois, dont une grande partie de la marchandise est de seconde main. « Les Européens ne réparent pas, ils jettent si c’est gâté. Alors que nous, nous réparons », rigole Ass Malick, réparateur de portable depuis 2006. Ce marché informel fait vivre de nombreuses personnes, au détriment de leur santé et de l’environnement : ces déchets électroniques renferment en effet des matériaux toxiques.
Chaque semaine, ces conteneurs appelés « venants » arrivent au port de Dakar, puis sont transportés dans les quartiers de la capitale sénégalaise. Des voitures, du mobilier, de la vaisselle… et beaucoup de matériel électronique et électroménager. Serigne Ndong et son frère ont repris l’entreprise familiale d’importation de matériel depuis l’Italie principalement. Basé à Thiaroye, en banlieue, il estime que « la majorité arrive dans un mauvais état : 60 % des appareils sont abîmés et 40 % en bon état ».
Ceux trop abîmés sont vendus en pièces détachées. Dans une arrière-cour du centre-ville de Dakar, la boutique-atelier de Daouda Ndour est envahie d’ordinateurs et d’écrans. « On ne sait jamais ce qu’on va trouver quand on reçoit ces lots : certains appareils fonctionnent bien et d’autres ont des problèmes. Souvent, le connecteur ou l’écran sont à changer », explique l’acheteur-revendeur. Un peu plus haut, dans une rue voisine, des tables en bois ont été alignées dans le quartier « Salle des ventes » afin de servir d’établi à une vingtaine de réparateurs de téléphones, télécommandes et casques audios. Le système D est roi.
« Ils n’ont pas conscience du danger »
« C’est principalement le secteur de l’informel qui s’occupe de la gestion des DEEE [déchets d’équipements électriques et électroniques], mais le souci est que ces travailleurs n’ont pas de bonnes pratiques : ils n’ont pas conscience du danger et ne se protègent pas », déplore Cheikhou Gassama, chef de la division des déchets électroniques à Sénégal Numérique, société nationale chargée de mettre en œuvre la politique d’informatisation et la gestion des infrastructures numériques de l’État.
Les DEEE contiennent en effet des matériaux extrêmement nocifs (plomb, mercure, amiante, arsenic) lorsqu’on les démantèle. Plusieurs des substances dégagées sont classées cancérigènes pour les humains par l’agence étasunienne de protection de l’environnement et le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Informaticien, Anthony ressent parfois des picotements aux poumons bien qu’il porte des gants et un masque lorsqu’il travaille. « Mes proches me disent que j’oublie tout », raconte-t-il, certain que cela est dû à son métier.
Ces DEEE s’avèrent également très dangereux pour l’environnement. « Les dégâts des déchets toxiques sont silencieux, mais représentent un vrai danger. C’est une pollution invisible : des gaz à effet de serre (comme le CFC, le HCFC et HFC), inodores et incolores, polluent l’air, le sol et l’eau et provoquent des maladies respiratoires qui tuent à petit feu, explique Julie Repetti de SetTIC, première écosociété spécialisée dans le traitement de déchets d’entreprises. Les récupérateurs et réparateurs sont au courant pour les câbles, mais pas toujours pour les écrans. »
Vide juridique
Entre 7 et 20 % des DEEE produits en Europe font l’objet d’exportations illégales, principalement vers l’Afrique, selon un rapport de 2020, et ce malgré la Convention de Bâle (1992), qui interdit l’exportation de déchets dangereux. Ainsi, c’est la dénomination même des objets importés qui pose problème et qui laisse passer de nombreux DEEE.
« La douane ne fait pas la différence entre du neuf et de la seconde main. Cette dénomination permet de passer entre les mailles du filet et d’importer des DEEE sans entrave », explique Cheikhou Gassama. Ce trafic permet aux pays exportateurs de se soustraire aux réglementations en vigueur sur leur territoire et d’éviter le coût élevé du recyclage. Ce recyclage est un défi de taille : entre 2019 et 2030, le gisement de DEEE sera multiplié par 2,5.
« Si tu en as, tu as l’or avec toi »
Auparavant, les DEEE arrivaient à Mbeubeuss, la plus grande décharge d’Afrique de l’Ouest (115,5 hectares), afin d’y être recyclés par les récupérateurs, des travailleurs informels qui collectent les déchets pour les revendre à des entreprises. Désormais conscients de l’intérêt économique de ces déchets, d’autres acteurs du secteur informel s’empressent de les récupérer avant qu’ils n’atterrissent à la décharge.
« Si tu en as, tu as l’or avec toi », assure Harouna Niass, président de l’association des récupérateurs de Mbeubeuss. Les ferrailleurs se chargent ainsi de les désosser et démanteler de manière artisanale, en les brûlant ou les traitant à l’acide, pour en extraire les matériaux valorisables (fer, cuivre, aluminium). « Les acteurs du secteur constituent une petite mafia qui revend à des entreprises étrangères, principalement indiennes et chinoises pour la ferraille et les batteries au plomb », souligne Julie Repetti, cofondatrice de SetTIC, pionnière au Sénégal de la collecte et du recyclage des DEEE des entreprises, de façon légale.
En plus des déchets importés, ceux produits directement par le Sénégal peinent à être recyclés. Malgré des débuts compliqués en 2013, l’entreprise SetTIC est devenue une référence. Dans son entrepôt de 500 m2, elle stocke les DEEE récupérés auprès d’une quarantaine d’entreprises clientes pour ensuite les recycler. Mais par manque de place et de machines adéquates, « certains déchets ne peuvent pas l’être ici et sont envoyés en Europe », ajoute-t-elle. Moyennant finances.
Sénégal Numérique, une société nationale, s’intéresse également depuis quelques années à la gestion de ces déchets. Créée en 2006, une cellule de douze personnes, majoritairement porteuses de handicaps, s’occupe de recycler et conditionner les équipements des administrations sénégalaises (depuis un décret de 2015, elles doivent confier leur matériel électronique obsolète à une entreprise de recyclage). Plutôt que de les envoyer en Europe pour recyclage, Sénégal Numérique prévoit de construire un centre de recyclage pour la sous-région et gérer un plus grand volume de déchets.
Parallèlement, face au flou actuel, une réflexion est en cours pour instaurer un cadre juridique. Une commission avec un projet de décret obligeant les entreprises à donner leurs DEEE à une entreprise de recyclage est à l’étude, tout comme la rédaction d’un nouveau Code de l’environnement introduisant la notion d’« e-déchet » et la création d’un écoorganisme. Mais cela traîne depuis plusieurs années en raison des intérêts économiques en jeu. En attendant, ce vide juridique continue de laisser des DEEE arriver en nombre au Sénégal.
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