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Sites internet sénégalais - CES LIEUX DE DÉNIGREMENT ET DE RÈGLEMENT DE COMPTES

Sénégal

Forums de « dispute », devrait-on plutôt dire. Ces plateformes de discussion, sur Internet, constituent, pour certains Sénégalais, le lieu idéal d’insulter et de dénigrer l’autre pour des raisons dont on ignore, le plus souvent, le fondement. De nombreux Sénégalais rencontrés dénoncent le phénomène et appellent les administrateurs des sites à plus de rigueur dans le filtrage des commentaires.

 

 Les plateformes de discussion sur internet sont en passe de devenir des espaces d’insanité et de règlement de compte. Les commentaires laissés sous une vidéo d’un célèbre homme religieux postée sur un portail d’information de la place, visité le 06 février dernier, le prouve de fort belle manière. Ils sont d’une inélégance qui dépasse les limites de la morale. « Imposteur », « fanatique » « assassin »..., les qualificatifs bondissent de partout pour désigner l’homme. Quand bien même que les ripostes apportées sont aussi choquantes que les attaques. 

De la même manière que ces mots injurieux sont laissés sous cette vidéo, le vocabulaire utilisé par certains internautes pour commenter l’actualité, de manière générale, reprise par certains sites et portails web d’informations sont souvent salaces et peuvent atteindre l’intégrité morale aussi bien du simple visiteur du site que de la personne ciblée. 

Ces forums de « dispute » sont comme des lieux où des citoyens sont livrés à la vindicte populaire sous le regard parfois complice de certains administrateurs de sites web. Des insultes s’y échangent au quotidien, malgré les mentions comme «aidez-nous à modérer les commentaires», qu’on peut lire à l’ouverture de certains forums. Ces bévues se sont immiscées aujourd’hui dans le jargon de ces espaces de liberté. 

« Je m’amuse parfois à parcourir les commentaires après avoir lu un article sur le net. Mais c’est vraiment blessant, ce que je vois souvent. J’imagine que certains commentaires provoquent de terribles chocs dans les familles des personnes mises en cause. Les gérants des sites doivent faire preuve de plus de responsabilité », pense Bassirou Sy, un étudiant dans une école de formation privée de Dakar. 

Selon Babacar Seck, c’est le désamour qui existe entre les Sénégalais qui s’est transposé sur la toile. « C’est vrai que les gens s’insultent mutuellement sur le net à longueur de journée. Cela prouve encore une fois l’hypocrisie des Sénégalais qui font semblant de s’aimer, s’ils se regardent en face, mais qui, en réalité, s’entretuent en cachette. Moi, je pense que la toile n’a fait que révéler la vraie identité de beaucoup de Sénégalais », estime Babacar. 

« Ce sont les hommes politiques qui sont derrière tous ce que vous voyez sur le net. Moi, j’ai une fois été recruté par un parti politique. Mon travail consistait seulement à dire du bien sur mon employeur et à discréditer ses adversaires politiques », explique, sans hésiter un étudiant qui requiert l’anonymat. 

Il soutient que pour la plupart du temps, le travail de jeunes dans les partis politiques consiste à chercher à trainer l’adversaire dans la boue. Dans une interview accordée au quotidien national Le Soleil, dans son édition du 19 mars 2013, le sociologue Dr Cheikh Ibrahima Niang, enseignant à l’Institut des sciences de l’environnement, expliquait que dans tout espace d’échanges, il y a des tendances à la rébellion ou au désordre qui sont générateurs de nouveautés. Il déclarait que la jeunesse est portée, le plus souvent, à la remise en cause et au rejet de ce qui est établi, sanctifié pour créer quelque chose de nouveau. 

« C’est la créativité de la jeunesse et sa liberté profonde qui s’expriment dans la remise en cause des règles et des normes. On peut donc comprendre qu’il y ait des écarts, des sorties qui ne correspondent pas au langage bienséant. Mais le revers de la médaille, c’est que cela porte atteinte aux individus et aux individualités. On doit revenir à la question de savoir où s’arrête ma liberté et où commence celle de l’autre », résonnait-il. 

FORUMS DES SITES D’INFORMATION EN LIGNE 

Le lieu de toutes les insanités 

C’est la foire aux insultes. Destinés à nourrir le débat et à permettre aux lecteurs d’apprécier et de donner leur point de vue sur l’information, les forums des sites d’information sont devenus le lieu de toutes les dérives verbales. Courageusement caché derrière un clavier, l’internaute dénigre, calomnie d’honnêtes citoyens qui ont eu le malheur ( ?) d’avoir fait l’objet d’un article de presse. Qu’importe que cela soit en bon ou en mal, il se trouvera toujours de mauvais esprits pour poster un message assassin. 

Et c’est à consommer sans modération, au propre comme au figuré. Car il y en a bien qui ont fait de ces plateformes d’insanités, l’endroit idéal pour s’aérer un peu l’esprit. « Quand j’ai envie de me détendre un peu, je vais dans ces sites, non pas pour lire les articles mais pour dévorer les commentaires. C’est une véritable foire aux empoignes et de règlement de comptes », confie Alimatou Diongue, une secrétaire de direction. 

Si en plus les gestionnaires de ces sites ne font pas beaucoup d’efforts pour filtrer les commentaires désobligeants, des gens, à l’image de cette femme, ne peu- vent que s’en délecter davantage. Même si Ibrahima Lissa Faye, directeur de publication du site d’informations Pressafrik tente de convaincre sur la volonté de plus en plus affirmée des administrateurs de sites de filtrer les commentaires peu aimables. 

« Il fut un temps, les insultes foisonnaient sur les sites mais depuis quelques temps, il y a un travail de sensibilisation dont les résultats se mesurent par les forums où l’on note moins d'injures et de propos attentatoires ». 

Son confrère, Amadou Makhtar Casset, gestionnaire du site a- Dakar.com, l’équivalent de a-Abidajan.com au Sénégal, embouche la même trompette. Il souligne les efforts de modération que son site fait pour filtrer certains commentaires. 

« Notre plateforme qui couvre plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest veille, de manière scrupuleuse, sur les commentaires envoyés à partir de notre forum. Il y a une censure automatique qui s’exerce quand des mots outranciers ou injurieux sont postés sur le site », dit- il. Soit, mais toujours est-il que les propos injurieux ont encore la peau dure dans les forums, il suffit d’un clic pour le vérifier. 

A en croire Serigne Talla Diaw du site Leral.net, certains administrateurs ont commencé à modérer les forums en utilisant des mots- clés, c’est-à-dire que certains mots sont mis sur une « liste rouge » et tout commentaire qui comporte un seul de ces mots est bloqué automatique. Sauf que cette technique a bien ses limites. « Ce système n’est pas tout le temps efficace surtout avec la langue wolof et ses nombreux termes vulgaires. Il n’est pas difficile pour certains internautes de contourner cet obstacle », reconnaît-il. 

La solution pour mettre un terme à ces dérives ? « Recruter quelqu’un qui n’aura pour travail que de filtrer les messages des internautes », préconise Serigne Talla Diaw. « Mais cela signifie aussi de nouvelles charges pour une entreprise qui n’a peut-être pas les moyens de se permettre ce luxe », oppose-t-il. 

LES INSULTES ATTIRENT LE LECTORAT 

Si les administrateurs de sites d’information font peu ou pas du tout d’effort de filtrage des commentaires outranciers, c’est parce que ces plateformes se nourrissent des insultes. C’est à croire que plus on y insulte, plus un site accueille de visiteurs. « Plus les commentaires sont nombreux, mieux c’est pour le site. Et ce n’est pas pour rien que sur certains sites web, le visiteur a la possibilité de voir le nombre de commentaires sur l’article avant même de cliquer là-dessus. Les articles les plus commentés sont souvent les plus lus. 

Certains internautes se connectent uniquement pour lire les commentaires même les plus désobligeants. C’est la raison pour laquelle beaucoup de responsables de sites web hésitent encore à modérer les forums alors que d’autres n’y pensent même pas », affirme Serigne Talla Diaw. Comme en écho, Amadou Makhtar Casset reconnaît que ce sont les insultes qui permettent d’avoir beaucoup plus de visibilité. « Beaucoup de lecteurs préfèrent lire les commentaires que l’article en question. Quand on est donc en quête de lecteurs et de visibilité, de tels commentaires peuvent constituer un appui non négligeable. Seulement, cela peut décrédibiliser le site », pense-t-il. 

IBRAHIMA LISSA FAYE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES PROFESSIONNELS ET ÉDITEURS DE LA PRESSE EN LIGNE (APPEL) 

''Ce sont des pratiques à dénoncer et à combattre'' 

Pour le président de l’Association des professionnels et éditeurs de la presse en ligne (Appel) et par ailleurs directeur de publication du site d’information en ligne Pressafrik, les dérapages verbaux dans les forums sont à combattre. Ibrahima Lissa Faye assure que des efforts de filtrage des propos outranciers sont entrepris par les acteurs de la presse en ligne. 

Qu'est-ce que vous pensez des insultes et autres propos désobligeants sur les forums des sites d'information ? 

Je déplore ces insultes. Je pense que c’est irresponsable de se cacher derrière un pseudo pour abreuver d’injures d’honnêtes citoyens. Ce sont des pratiques à dénoncer et à combattre. 

Et depuis quelques mois, nous avons décidé de mettre des filtres pour que cela ne passe plus. Ces efforts ont été effectués au prix d'une lourde perte en trafic web, préjudiciable au modèle économique encore tatillon de nos organes en ligne. Si par le passé des abus ont été notés dans ce sens, la presse en ligne, à l’interne, a fait une prise de conscience. 

En tant que gestionnaires ou administrateurs de sites, effectuez- vous un travail de modération de ces forums ? 

Oui effectivement, nous effectuons à Pressafrik une modération à priori et à postériori. Nous connaissons bien notre public et savons que cela le rebute, donc il y a des choses que nous ne pouvons laisser passer. Si un visiteur indélicat persiste, on le bloque définitivement pour de bon, il ne pourra plus utiliser la même adresse pour se livrer à ce jeu licencieux. 

De façon générale, les responsables des sites membres d'APPEL ont pris des décisions fermes de modération des commentaires. Les preuves existent et on peut les montrer à ceux qui le souhaitent. Les éditeurs membres d’APPEL sont bien conscients de leurs responsabilités et ont été les premiers à combattre les dérives et commentaires attentatoires. 

A votre avis, pourquoi certains sites laissent-ils passer de tels propos ? 

Toutefois, compte tenu de notre statut de journal en ligne (une des trois catégories de la presse en ligne) nous ne sommes pas dans cette course effrénée de trafic. Notre audience est assez modeste par rapport à Seneweb, Dakaractu et autres. Ces sites d’informations ne peuvent faire une modération à postériori parce que cela nécessiterait des bras supplémentaires ce que leurs recettes ne le permettent pas du tout. 

Ils adoptent une modération à priori avec le système de mots clés qui malheureusement est bien compris maintenant par les internautes qui utilisent des moyens de contournement très sophistiqués. En fait, il faut trouver une solution compensatoire à cette histoire de commentaires sur les forums. La population connectée au Sénégal croit de jour en jour et de plus en plus elle s’informe à partir de nos sites. 

Au nom de la liberté d’expression, on ne peut fermer ces espaces. Les restrictions posent déjà beaucoup de problèmes parce que réduisant drastiquement les visiteurs. Et dans ce cas de figure, les annonceurs se détournent de nos plateformes, ce qui présage, à long terme, d’une mort certaine pour un secteur émergent considéré comme l’avenir de la presse au Sénégal et partout dans le monde. 

PATRICE CORREA, SOCIOLOgUE 

''Les acteurs se permettent des excès à l’abri du contrôle social'' 

L’Enseignant-chercheur à l’Unité de recherche et de formation de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et chercheur associé au Mica Bordeaux3, Patrice Correa, ne voit pas de raisons spécifiques de l’engoue- ment des Sénégalais pour les médias spéciaux. Il pense que notre pays reste une plate-forme mondiale où s’invitent et s’expérimentent des modèles de vivre, d’agir, venus d’ailleurs. Toutefois, il défend la position de réinventer les principes de la discussion dans ces fora devenus des lieux de délire, de règlement de compte. Du reste, il ne pense pas que la stabilité socioculturelle construite, depuis plusieurs siècles, va s’ébranler du simple fait qu’un tel guide religieux et telle communauté confessionnelle ont été attaqués par une autre personne. 

Monsieur Patrice CORREA, le Sénégal, à l’instar de plusieurs pays, vit un frémissement des médias sociaux. Est-ce qu’il y a des raisons spécifiques de l’engouement pour ces médias sociaux ? 

Oui et non ! Notre pays, comme tous les autres, est fasciné par la culture technologique caractéristique de notre époque, du fait du pouvoir « mystificateur » ou mythique de ces formidables outils qui changent et renouvellent nos façons de faire société, de construire notre rapport au monde et de définir nos identités. En cela, il n’y a rien de nouveau sous notre ciel. Ils nous « envoûtent » comme ils le font ailleurs, chez d’autres jeunes du monde, car c’est dans cette catégorie que l’engouement est le plus perceptible. 

Cependant, il faut, à mon avis, convoquer quelques explications complémentaires. Il s’agit de l’extraversion du Sénégalais, notamment du citadin sénégalais, car notre pays reste une plate-forme mondiale où s’invitent et s’expérimentent des modèles de vivre, d’agir, de consommer qui viennent des pays plus développés en technologie, en économie et qui, par conséquent, produisent une industrie culturelle à l’échelle mondiale. 

Quelle lecture faites-vous des commentaires sur les fora des sites d’informations comme Seneweb.com, leral.net entre autres ? 

A la lecture des prises de paroles publiques au travers des sites web sénégalais, on constate des problèmes à la fois d’éthique, de déontologie et simplement de morale sociale : la violence verbale, l’indiscipline, l’irrespect des normes d’un débat public. Cela pose la question de savoir si ces sites sont régulés ou si c’est le principe d’autorégulation qui préside aux échanges entre internautes. 

Je crois d’ailleurs que l’esprit de ces « espaces publics alternatifs » est trahi car les sites d’information s’ouvrent, en principes, à des citoyens qui, pour diverses raisons, avaient été réduits au silence. Il faut réinventer les principes de la discussion dans ces fora devenus des lieux de délire, de règlements de compte, bref des exutoires. 

Est-ce que ces commentaires peuvent s’expliquer par le simple fait de vouloir évacuer le stress, le simple fait de vouloir se libérer ? 

Je n’ose pas croire que ces sites assurent cette fonction mais le questionnement est légitime. Car en observant ces commentaires, on constate assez souvent le décalage entre le sujet en débat et les commentaires. Cela renseigne beaucoup sur la fonction ou du moins l’appropriation de ces sites par les usagers. 

Peut-on admettre que le principe de la liberté d’expression est aussi l’explication du ton de ces commentaires ? 

A moins qu’on intériorise de façon anarchiste la notion de liberté. La liberté d’expression n’en est pas une quand elle est dépourvue de responsabilité. Je crois qu’il manque une culture du débat public et de la liberté d’expression chez nombre d’internautes et que les choses sont d’autant plus compliquées que la régulation de l’outil internet n’est pas une tâche aisée.

Nous voyons que certains commentaires sont aux antipodes de nos réalités socioculturelles. Certains s’en servent pour s’attaquer à des marabouts. D’autres font des commentaires aux relents ethnocentriques ? 

Je n’aurais pas posé ainsi le problème. Mais je comprends que vous pointiez les dérapages ethnocentriques, racistes ou anti-confessionnels de certains internautes sur ces sites. Je réitère mon hypothèse relative à l’inculture des acteurs sur les règles d’un débat public en tant que débat d’idées constructif, débat respectueux des différences de postures et d’expériences. 

De même, je reste convaincu que nous sommes dans des espaces sociaux où les acteurs se permettent des excès à l’abri du contrôle social même si ce n’est pas la vocation des sites d’information. Ce qui est d’autant plus probable que les acteurs échangent sous le couvert de l’anonymat. 

Est-ce que ces commentaires exagérés sur les confréries et sur les ethnies constituent des menaces pour le fondement de la société sénégalaise où l’harmonie religieuse et le cousinage à plaisanterie ont contribué à la consolidation de la stabilité au Sénégal ? 

Le mal ou l’antipathie que les croyants d’une communauté confessionnelle ou d’une communauté culturelle sénégalaise expriment vis -à- vis d’une autre est une réalité antérieure aux médias sociaux et aux sites d’information. Je crois même que ces médias, dans leur propriété, renforcent l’expression d’une inimitié, d’une antipathie, d’une haine que la morale sociale empêche d’affirmer ouvertement. 

Mais je reste convaincu qu’une stabilité socioculturelle construite depuis plusieurs siècles ne s’ébranlera pas du jour au lendemain parce que tel ou tel adepte religieux a jeté l’opprobre sur tel guide religieux ou telle communauté confessionnelle. Cela ne veut pas dire qu’il faut négliger la haine qui rampe ou qui couve dans les réseaux sociaux. Il faut justement imaginer des idées et des sujets constructifs qui enrichissent les débats publics. 

Aussi, les médias sociaux ne font que prolonger la vie réelle dans l’espace virtuel. Cela suppose une éducation à l’altérité qui traverse toutes les étapes et les instances de la socialisation. 

Quelles sont les solutions que vous préconisiez pour prévenir ces dérives ? 

Une réforme profonde de nos systèmes socioculturels, notamment des lieux de formation humaine : les écoles et universités, les cadres de formation. Une plus grande vigilance dans l’éducation familiale, confessionnelle, associative et une socialisation politique qui promeuve la citoyenneté, le patriotisme et la tolérance. C’est un vaste chantier, un projet de société. Mais, il faut le faire aussi avec les technologies et tous les supports possibles de l’expression de nos cultures. 

MOUHAMADOU LO, DIRECTEUR DE LA COMMISSION DE PROTECTION DES DONNEES PERSONNELLES (CDP) 

La Cdp veut aller en croisade contre les dérives dans les sites d’information en ligne 

Créée depuis 2008, la Commission de protection des données personnelles (Cdp) n’a commencé pourtant véritablement ses activités que depuis quelques mois. Un démarrage effectif qui tombe à pic dans un contexte où l’on évoque, de plus en plus, l’urgence de réglementer les sites d’information en ligne lieu de toutes les grossièretés langagières. 

Sur les sites d’information en ligne, les mots volent bas et ne s’élèvent pas plus haut que terre. Invectives, insultes, calomnies, injures, diffamations etc., certains internautes ont pris le malin plaisir de faire de ces plateformes un lieu de défouloir, de règlement de compte sur fond de méchanceté gratuite. Tant de dérives qui ont fini d’émouvoir les âmes sensibles et d’interpeler les autorités. Des voix s’élèvent pour demander une réglementation de ce secteur comme s’il y avait un vide juridique. Que non ! 

Des textes de loi et des structures existent bel et bien pour réguler et contrôler ce secteur d’activités en pleine expansion au Sénégal. « On ne peut pas dire qu’il y a un vide juridique, ce qui manque c’est l’application des textes. Il y a des articles très clairs là-dessus », martèle Mouhamadou Lô, directeur de la Commission pour la protection des données personnelles (Cdp). 

Ces textes sont régis par la Loi 2008-11 du 25 janvier 2008 sur la cybercriminalité. L’article 431-40 de cette loi stipule que l’insulte commise par le biais d’un système informatique envers une personne en raison de son appartenance à un groupe qui se caractérise par la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, ou la religion dans la mesure où cette appartenance sert de prétexte à l’un ou l’autre de ces éléments, ou un groupe de personnes qui se distingue par une de ces caractéristiques sera puni d’un emprisonnement de six (6) mois à sept (7) ans et d’une amende de 1.000.000 à 10.000.000 francs. 

PROTÉGER LES SÉNÉGALAIS CONTRE LES ABUS 

Autorité administrative indépendante instituée par une loi en 2008 et dont les membres sont nommés par décret, la Cdp a pour mission de lutter contre l’utilisation abusive des données personnelles des Sénégalais. A ce titre, son domaine de compétence s’étend aux sites d’informations, selon son directeur. 

Fort de cela, M. Lô assure qu’en tant qu’autorité administrative indépendante en charge de la protection de la vie privée des Sénégalais, « on interviendra dès l’instant, qu’à travers les commentaires, on arrive à identifier la personne auteure des insultes et autres dérives langagières ». Pour ce faire, il suffit que la personne atteinte, dans son honneur, saisisse la Cdp qui, séance tenante, donnera la ferme injonction au responsable du site incriminé d’effacer les informations personnelles du plaignant qui, s’il le souhaite, pourra porter plainte ensuite. 

« Au regard des textes qui nous régissent, notre mission se limite à cela. A l’heure actuelle, on n’a pas d’autres instruments juridiques ni coercitifs pour aller plus loin que de donner des injonctions », explique M. Lô. 

Pour dire que ce n’est pas à la Cdp de dénicher ceux qui se cachent courageusement derrière des prête-noms et autres pseudonymes pour insulter de paisibles citoyens. Ce travail incombe à la police où à la gendarmerie qui, après le dépôt d’une plainte, se chargeront de remonter la chaîne jusqu’à l’auteur de l’infraction. En l’espèce, l’internaute incriminé est aussi coupable que les responsables du site qui lui ont donné un cadre d’expression, confie le directeur de la Cdp. 

En dehors de la voie judiciaire quid des solutions pour arrêter ces dérives ? « D’un côté, les promoteurs des sites d’information doivent prendre leur responsabilité et faire en sorte qu’il n’y ait plus ces dérives sur les sites web. 

De l’autre, l’Etat, en tant que législateur, ne doit plus tolérer ces dérives alors qu’il y a des textes qui les sanctionnent », affirme M. Lô. Il indique que la Cdp a déjà envoyé un courriel à l’association de la presse en ligne en vue d’une rencontre dans les meilleurs délais en présence de la Cnra. 

ALIOUNE DRAME, DIRECTEUR DE LA COMMUNICATION 

''Nous allons créer un organe de régulation de la presse en ligne'' 

Une fois que le Code de la presse sera adopté, rien ne sera plus comme avant dans les sites d’information en ligne. Et selon le directeur de la Communication, Alioune Dramé, ces sites se conformeront à l’organisation d’une entreprise de presse avec, au moins, le recrutement de trois journalistes et un contenu sans cesse renouvelé. Aussi, un organe de régulation va être créé pour situer les responsabilités dans les sites. 

Nous avons constaté, ces dernières années, un développement fulgurant de la presse en ligne au Sénégal. Aujourd’hui, quelle est la place de cette presse dans l’espace médiatique sénégalais ? 

 La presse en ligne s’est considérablement développée au Sénégal, ces dernières années. C’est même impressionnant. Il y a entre 70 à 80 sites, parfois même une centaine, selon les administrateurs. Mais il se trouve que nous avons des problèmes de gouvernance de cette presse en ligne. Cependant, au ministère, on a réfléchi et dans le code de la presse, il y a des dispositions relatives à la presse en ligne. Nous avons prévu, dans le code, les conditions de fourniture de la publication de la presse en ligne et ces services de presse en ligne doivent satisfaire aux obligations suivantes. 

D’abord, la presse en ligne doit être constituée sous forme d’entreprise de presse. Parce que ce que nous constatons jusque-là, c’est que les gens se lèvent un beau jour et créent leur site. Ces sites ne sont répertoriés ni au ministère des Finances, ni au ministère de la Communication ou encore au sein des ministères de l’Intérieur ou de la Justice. 

Ce qui n’est pas normal. Nous disons donc que le site doit être répertorié comme une entreprise de presse. Ensuite, le service de presse en ligne doit être édité au titre professionnel, c'est-à-dire que cette entreprise de presse doit avoir, au moins, trois journalistes professionnels diplômés reconnus comme journalistes, ayant leur carte de presse. 

Nous avons statué sur le fonctionnement d’un site de presse en ligne. Le site de presse doit être écrit professionnellement, comme un journal. Il ne suffit plus de créer un site et de prendre les articles du « Soleil », de l’Observateur ou les dépêches de l’Aps etc. et les publier. Cela ne répond pas aux critères d’un journal en ligne. Ce journal doit donc avoir ses propres journalistes qui font des reportages qui sont régulièrement renouvelés. C’est ce qui se passe en Europe actuellement. 

Le site doit donc être comme un journal d’informations avec un contenu original ayant un lien avec l’actualité. Le contenu publié par l’éditeur ne doit pas choquer le lecteur, c'est-à-dire qu’on ne doit pas porter atteinte à la dignité, à la décence et l’on ne doit pas présenter la violence sous un jour favorable. Si nous adoptons le code de la presse, cela va nous permettre d’avoir un arsenal juridique pour essayer d’encadrer tout cela. Mais comme je le dis souvent, la technologie va plus vite que les lois. 

Le Code de la presse n’est pas encore adopté, mais qu’est-ce que vous comptez faire ? 

Actuellement, nous sommes en train de discuter avec les responsables du service de la presse en ligne au Sénégal pour, dans un premier temps, travailler sur deux chapitres. D’abord, il faut renforcer la réglementation ; ensuite on va chercher, à travers nos concertations, un moyen de régulation. Comme l’Artp est en train de le faire avec les télécommunications, nous allons, de notre côté, vers un organe de régulation de cette presse en ligne. Le travail ne fait que débuter, mais les responsables de la presse en ligne sont d’accord avec nous pour qu’on se concerte et qu’on cherche des solutions. 

A travers cet organe de régulation, on va situer les responsabilités. Par exemple, quand vous avez un site, il faut mettre un dispositif pour screener les intervenants. Comme nous le savons tous, à l’heure actuelle, le problème principal, ce sont les fora où l’on attaque les gens, on les insulte et parfois on n’a même pas envie de lire cela. Sous le modèle de l’anonymat, les gens sont capables de dire n’importe quelle méchanceté sur les personnes. 

Il faut donc qu’on trouve une solution au niveau du contenu et au niveau des échanges. Cela est d’autant plus nécessaire que c’est une presse incontournable. Et dans l’avenir, cette presse est appelée à se développer ; il faut donc la soigner et enlever les avatars constatés 

Est-ce qu’il est facile de réglementer l’Internet quand l’on sait que même au niveau mondial, l’Internet est démocratisé et il n’existe pratiquement pas de barrières... 

C’est une course à deux vitesses. Nous y allons à une vitesse V avec nos lois, mais l’avancée technologique va à une vitesse 1000. C’est pourquoi, j’invite les gens à plus de responsabilités. Si les gens sont assez responsables, quelque soit le niveau de développement ou de déphasage, la responsabilité est humaine. Le débat loyal, la non violence sont des choses que nous pouvons appliquer dans nos textes et dans nos débats. C’est pourquoi je dis que la formation est très importante et il faut qu’on inculque aux futurs journalistes, le respect de l’éthique et de la déontologie. 

Est-ce que vous n’encouragez pas le développement de cette presse en ligne en lui allouant l’aide à la presse comme tous les autres médias ? 

On peut nous faire cette critique qui est valable. Mais nous avons un comité consultatif composé de syndicalistes, de journalistes professionnels etc. et c’est un débat qu’on doit poser, parce qu’en continuant à donner l’aide à la presse à n’importe quel site, nous risquons d’encourager ces dérives. C’est pourquoi nous tenons à l’adoption du code. Dès qu’on l’aura fait, toutes ces dérives seront plus ou moins soignées et il y aura une assise claire. 

 

source :http://www.leral.net/CES-LIEUX-DE-DENIGREMENT-ET-DE-REGLEMENT-DE-COMPTES_a120995.html

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