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La Chine semble profiter de la guerre en Ukraine pour développer ses ventes d’armes en Afrique. Une tendance qui dénote de l’opportunisme économique du complexe militaro-industriel chinois mais permet aussi à Pékin d’utiliser des nouveaux moyens pour étendre sa sphère d’influence.
Le plus important fabricant d’armes chinois a dorénavant pignon sur rue au Sénégal. Norinco, également septième équipementier militaire au niveau mondial, a ouvert un bureau de vente à Dakar, affirme le South China Morning Post, lundi 21 août.
Ce ne serait qu’une première étape pour le géant chinois, qui prévoit également d’établir une présence plus permanente au Mali et en Côte d’Ivoire, a affirmé le site Military Africa, qui a été l’un des premiers médias à faire état des plans d’expansion de Norinco en Afrique de l’Ouest, début août. France 24, de son côté, n'a pas pu vérifier indépendamment que ce nouveau site de Norinco dans la capitale sénégalaise étaient réellement ouvert.
Deuxième exportateur d’armes en Afrique sub-saharienne
Cette arrivée du principal vendeur d’armes chinoises sur le sol sénégalais a aussi été reprise par plusieurs médias généralistes chinois. À l'instar du South China Morning Post, ils souligent qu'elle illustre l’appétit grandissant du complexe militaro-industriel chinois pour le continent africain et un nouvel exemple de ambitions de Pékin pour une plus grande coopération en matière de sécurité avec les pays de la région.
La Chine "ne s’est imposée que depuis une dizaine d’années comme un important fournisseur d’armes aux pays africains", souligne Luke Patey, spécialiste des relations économiques de la Chine au Danish Institute for International Studies (DIIS - Institut danois d’étude des relations internationales). Et quel grand bond en avant en une décennie : Pékin est devenu le troisième exportateur d’armes sur le continent (derrière la Russie et les États-Unis) et le deuxième en Afrique sub-saharienne, après s’être fait dépasser par la Russie en 2022.
L’établissement de bureaux sur place au Sénégal "confère à ces échanges un caractère permanent", souligne Luke Patey. Norinco fait ainsi savoir à ses partenaires "qu’il est sérieux dans son intention de s’implanter davantage en Afrique de l’Ouest", ajoute Earl Conteh-Morgan, spécialiste des relations sino-africaines à l’université de Californie du Sud.
Disposer d’une délégation permanente sur le terrain permet à ce géant d’offrir un service après-vente qui peut cimenter une relation commerciale, souligne François Vreÿ, un spécialiste des questions de sécurité en Afrique à l’université de Stellenbosch (Afrique du Sud) interrogé par le South China Morning Post. Norinco pourait ainsi aussi espérait être plus rapidement au courant des changements de situation – que ce soit au Sénégal ou dans les pays voisins – susceptibles d’offrir de nouvelles opportunités commerciales.
Le choix du Sénégal révèle aussi une plus grande confiance en soi des vendeurs d’armes chinois – et par extension de Pékin – sur le sol africain. En effet, jusqu’à présent, Norinco et les autres groupes chinois n’ouvraient des bureaux que dans les pays avec des liens historiques ou commerciaux avec la Chine déjà forts, tels que l’Angola ou le Nigeria.
Sur les plates-bandes de la Russie ?
Cette fois-ci, les pays dans le viseur de la Chine – le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Mali – appartiennent historiquement à la zone d’influence française. Autrement dit, Pékin s’aventure dans "une partie de l’Afrique qu’elle évitait soigneusement jusqu’à présent ne serait-ce qu’à cause de la barrière de la langue [le Français, NDLR]", note Danilo delle Fave, spécialiste des questions de sécurité en Chine et chercheur associé à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona, un collectif international d’experts en question de sécurité internationale. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, c’est encore la France qui reste le premier exportateur d’armes.
En outre, l’Afrique francophone fait figure de cible prioritaire pour la Russie, où le groupe Wagner, sur ordre de Moscou, s’efforce de développer les ventes d’armes, tout en boutant la France hors de ces pays. En s’installant dans cette zone à son tour, la Chine semble marcher sur les plates-bandes de son “allié” du moment.
Surprenant ? Pas tant que ça, estime Danilo delle Fave : "Cet exemple nous rappelle qu’il ne faut pas se tromper sur la nature du rapprochement sino-russe à la faveur de la guerre en Ukraine. La Chine aide la Russie pour éviter que l’Occident ne se renforce aux dépens d’un affaiblissement de Moscou, mais pour autant, Pékin n’est pas en service commandé pour les Russes et ne va pas se priver de leur prendre des parts de marché".
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L’arrivée de Norinco au Sénégal illustre ainsi "l’opportunisme des groupes chinois et leur capacité à combler n’importe quel vide commercial", confirme Luke Patey. Il y a effectivement un affaiblissement de l’influence française en Afrique de l’Ouest et la capacité russe à exporter ses armes souffre "du fait des sanctions internationales imposées après le début de la guerre en Ukraine", rappelle Danilo delle Fave.
Pour les analystes interrogés par le South China Morning Post, ce n’est qu’un début. À cause de ces sanctions, "la guerre en Ukraine devrait permettre à la Chine de gagner des parts de marché en Afrique partout où la Russie exportait des armes", écrit le quotidien hongkongais. Luke Patey reconnaît que "la Chine est parfaitement capable de prendre le relais de la Russie en Afrique", mais pour lui, il est encore un peu tôt pour savoir si c’est effectivement ce qui va se passer. Ne serait-ce que parce que la Russie a réussi à augmenter le volume de ses exportations d’armes en Afrique en 2022, alors même que le pays était déjà soumis à des sanctions drastiques.
Des fusils, mais aussi des drones et des avions de chasse
Pékin devient aussi plus entreprenant parce que les groupes chinois sont capables d’exporter une palette d’armes plus variées. "Historiquement, ces sociétés vendaient surtout des armes légères et des munitions. Même si cela reste la majorité des exportations, ces fabricants proposent désormais du matériel militaire plus perfectionné", confirme Luke Patey.
Ainsi, la République démocratique du Congo a acheté des drones à Pékin en février 2023. "La Chine vend aussi davantage d’avions de combat en Afrique", affirme Thomas Newdick, un spécialiste de l’aviation militaire pour le blog The War Zone, interrogé par le site Voice of America. Une conséquence directe, cette fois-ci avérée, de la guerre en Ukraine car la Russie – grand fournisseur de chasseurs aux pays africains – "peine actuellement à satisfaire ses besoins domestiques", ajoute Thomas Newdick.
Les fabricants chinois d’armes se montrent aussi plus entreprenants en Afrique parce que les objectifs de Pékin ont évolué. Traditionnellement, la Chine vendait des armes à un pays dont elle convoitait aussi les ressources naturelles. Les exportations d’équipements militaires vers le Soudan et le Nigeria – deux des principaux partenaires commerciaux en Afrique du complexe militaro-industriel chinois – facilitaient l’accès à leurs vastes réserves de pétrole.
Dorénavant, la Chine compte aussi échanger ses armes contre de l’influence. "Pékin a déjà réussi à étendre sa sphère d’influence en Afrique grâce à ses investissements économiques [les Nouvelles routes de la soie, NDLR], et maintenant que les Chinois sont devenus le principal partenaire économique du continent, ils veulent continuer en développant leurs collaborations militaires", analyse Earl Conteh-Morgan.
Ainsi, l’arrivée au Sénégal de Norinco est peut-être avant tout une question d’opportunité commerciale pour le groupe, mais "si cela permet en parallèle de diluer l’influence française – et donc du camp occidental – en Afrique, c’est encore mieux”, ajoute ce spécialiste.
Cette dimension guerre d’influence devient d’autant plus importante aux yeux de la Chine que les États-Unis insistent de plus en plus sur l’impératif de contenir les ambitions chinoises. L’ex-président américain Donald Trump avait fait de la Chine son ennemi public numéro 1, mais il avait une politique internationale très isolationniste. Ce n’est pas le cas de Joe Biden qui "poursuit une stratégie d’alliance des démocraties pour contrer les pays comme la Russie et la Chine", souligne Danilo delle Fave. Et pour Pékin, l’Afrique est devenue un continent de choix pour tenter de contrer cette stratégie en se faisant des nouveaux amis grâce à ses exportations d’armes.