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Affaire Karim Wade : Chronique d’une comédie politico-judiciaire

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Karim wadeLe peuple sénégalais, une fois de plus, vient d’être ébloui par le talent dramaturgique de sa classe politique. Après les longues années d’invectives, de traque et d’emprisonnements, voilà aujourd’hui, inexplicablement, la subite période de «grâce». Karim libéré, Bibo, Diassé, Pouye tous graciés et la liste des 25 futurs traqués, étouffée dans l’œuf. Que nous ont encore caché nos hommes politiques ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Quels sont les termes véritables de cette libération dont on chante aux populations le visage faussement humanitaire! Pourquoi ont-ils insisté, forcé, puis exécuté cette mise en liberté précipitées, aux relents douteux ? Pourquoi en cette veille de retrouvailles libérales?

 

 Pourquoi l’Émirat du Qatar a-t-il été au courant de la libération de Karim avant même le peuple sénégalais? Quel intérêt le Qatar aurait dans une telle histoire, au point d'affréter un jet privé, son procureur général à bord, pour attendre Karim à l'aéroport et  l'exfiltrer vers Doha? Le spectateur a l’impression d’avoir encore raté quelque chose. Elle a raté la scène des «complots» dans cette triste pièce de théâtre où le peuple est floué, des religieux manipulés et des engagements présidentiels trahis.

 

 

Acte premier: «Je sais que j’irai en prison»

Le 14 novembre 2012, début du premier acte. Karim Wade, principal accusé de la traque des biens mal acquis, entre en scène. Fils du Président déchu, jadis ministre «du ciel et de la terre», il rallie Dakar à bord d’un vol d’Air France. Il fera face aux enquêteurs de la section de recherches à la Gendarmerie de Colobane. Ses présumés complices,  Abbas Jaber, Bibo Bourgi, Cheikh Diallo, etc., défileront à leur tour devant les enquêteurs. Le peuple suit incrédule. L’on parle du jet privé, des sociétés écrans, des comptes offshores etc. Les badauds surent même que l’Etat a porté plainte à Paris contre Karim Wade.  Décembre 2012, au bout de longues plusieurs semaines d’interrogatoire, l’accusé Karim confesse au procureur Alioune Ndao: «J’ai préparé mes valises, car je sais que j’irai en prison».

Puis, l’enquête sera pliée. Le fils de l’ancien chef de l’Etat devra justifier 693 milliards de Cfa d’avoirs. Quand la défense dénonce de l’arbitraire, le régime crie au voleur. Devant les micros, les politiciens bavent. Ils font étalage de ce qu’ils savent si bien faire: bourrer la tête du peuple, l’influencer, le désinformer, le mener en bateau. Ils firent étalage de tous leurs talents diaboliques. Entretemps, les populations se débattent dans leurs souffrances quotidiennes. Le chômage ne s’est jamais montré aussi arrogant. La pauvreté ne reculait pas d’un iota. «L’argent  ne circule pas», s’époumone le sénégalais lambda. «Faux» rétorqua le nouvel homme fort. C’est «l’argent sale qui ne circule plus» dit Macky Sall. Tant pis alors pour le gorgorlou, il va devoir se débrouiller tout seul. Fin du premier acte.

Deuxième acte : L’emprisonnement

Le lundi 15 avril 2013 début musclé du second acte. Les hommes de tenue entrent en scène. Les choses s’accélèrent. Finies les auditions. Karim est arrêté. Il est placé en garde à vue. Il disparait momentanément de la scène qu’occupe désormais le parquet. L’ambiance est grave. Devant la presse, Antoine Diome, substitut du procureur spécial, est formel. Il a été découvert «une véritable ingénierie financière frauduleuse», reposant «sur un système avec deux déclinaisons de prête-noms». Les journalistes immortalisent ses déclarations. Derrière, la population est ébahie une première fois ! Elle le sera une seconde fois le 18 avril, quand la commission d’instruction fit un revirement spectaculaire. Elle fond le patrimoine de Karim de 693 milliards à 117 milliards de Cfa. Ca fait désordre. Fin du deuxième.

Troisième acte: «Vous êtes tous des corrompus»

Au troisième acte: le procès. Le 31 juillet 2014, la Cour de répression de l’enrichissement illicite s’installe au cœur de la scène. Karim fait face au juge Henry Grégoire dans une salle débordante de monde. Partisans, badauds, militants et amis, sont venus. Soudain, le calme plat de la salle est déchiré par le cri d’un jeune homme. Son nom, Moïse Rampino. Militant de la cause de Karim, il a osé, en pleine audience, traiter les magistrats de «corrompus». La colère de la Cour s’abat sans pitié sur lui : 2 ans ferme plus mandat de dépôt. On l’oublia derrière les barreaux. C’est maintenant au tour des robes noires de faire Démosthène.

«J’ai bien constitué des sociétés pour Karim»

Attaques, contre-attaques, accusations, démentis, coup de gueule, enfantillages, coups bas, bouderies, la Cour est transformée en champ de bataille! Chacune des deux parties veut, non pas convaincre le juge, mais séduire le peuple, l’embobiner, le rallier à sa cause. Prévenus et témoins se succédèrent à la barre. Certains déchargent le fils de Me Wade, d’autres non. «Il n’y a aucune raison que j’éprouve de la haine pour Karim Wade, mais j’ai bien constitué des sociétés pour lui. Il ne m’a jamais dit pourquoi il ne figurait pas dans l’actionnariat de ces sociétés. En tout cas, ma comptabilité a reçu des fonds pour chaque société», déclare Me Patricia Lake, notaire de la famille Wade. Karim est touché. Puis, les politiques entrent en scène. «Karim Wade est coupable», clame tout haut le ministre Benoit Sambou. «C’est un prisonnier politique», rétorque le Pds. Le débat ne tardera pas à être tranché.

Une main sous la robe de dame justice

Le mercredi 12 novembre, coup de théâtre. Alioune Ndao, le procureur spécial est limogé alors qu'il etait en pleine audience.  Dame justice a senti une main étrangère sous sa robe. Jeudi 22 janvier, l’assesseur Yaya Abou Dia, démissionne. Le désordre est hélas complet. Le principal accusé s’est dit brutalisé. Son avocat est expulsé de la salle d’audience. Karim ne parlera plus. Le mutisme fut sa dernière ligne de défense. Tant mieux, rétorque Me Elhadj Diouf: «Qui ne dit rien consent». L’épilogue n’est pas trop loin. Au tribunal, les derniers coups de banderille pleuvent. Me Yérim Thiam: «Karim ne peut échapper à une condamnation». Procureur Diome: «Il n’y a pas de possibilité que Karim échappe à une condamnation. En termes de preuves, nous avons même l’embarras du choix». Les choses se présentent mal pour Wade fils. Wade père, dans un dernier sursaut affectif, tonne: «Je n'accepterai pas qu'on condamne Karim».

Le 25 mars, à 13 heures, explosion de larmes. Abdoulaye Faye, le responsable libéral sort en sanglots du palais de Justice. «La force sans justice n’est que tyrannie» crie-t-il en sanglots. Yawou Dial, le «talibé de wade» est inconsolable. Karim Wade est reconnu coupable.  Il est condamné à 6 années de prison ferme plus une amende de 138 milliards. Le recours à la Cour suprême n’y changera rien. Son sort a été scellé. Fin du tintamarre. Mais, la comédie est loin d’être terminée.

On a raté la scène des «complots» ?

La pièce a comme un gout d’inachevé. Le spectateur a comme raté quelque chose. En effet, les 25 autres personnalités annoncées ne fouleront pas la scène. Ils ne feront pas leur passage devant le juge. Certains ont transhumé dit-on, d’autres sont sous l’aile du président qui les a même fait voyager alors que dame justice les avait formellement interdit de sortir du territoire. Le reste de la liste peut oublier dame justice. «Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n'ai pas donné suite», disait fièrement le Président de la République en aout 2014.

Le spectateur se sent floué, trompé. Et même, changement de plans ! Le principal accusé ne restera plus en prison. Le Président de la République a estimé qu’il n’a plus sa place en prison. Il l’a libéré, lui et ses complices. Karim, lui, a su tirer le maximum de profit politique de son emprisonnement. Il semble sortir plus populaire de la prison qu’il n’en est entré. Ce, pour quelqu’un qui a perdu même dans son bureau de vote durant les élections locales de 2009 et la présidentielle de 2012.

Police et gendarmerie doivent bien se poser des questions

«Au diable les aspirations du peuple» ! «Au diable les avoirs volés» ! «Au diable la rupture» ! Au Diable la Crei. Quel revirement de situation ! Que de temps perdu pour rien. Et l’argent du contribuable ? A-t-il servi  à payer des avocats, à financer les couteuses commissions rogatoires pour aller fouiller dans les banques étrangères, pour un aussi piètre résultat ? A-t-il servi à loger la Crei, à rémunérer, à véhiculer et à sécuriser ses agents pour, au finish, clore tout avec un tel scénario ? Le procureur Ndao a donc été humilié pour rien. Les magistrats ont siégé, jugé, torturé leur dos des heures durant pour «ça» ? La police, la gendarmerie, doivent bien se poser des questions. Eux qui n’eurent pas de repos durant toute la période de la traque. Tout ça pour ça! Attendre que dame justice fasse son travail, pour ôter de ses mains ceux qui n’ont pas encore payé leur dette envers la société.

Ils avaient pourtant promis…

Benno Bok Yakar, la coalition présidentielle, disait pourtant, le 07 mars 2013: «L’esprit de justice et le patriotisme ne consistent pas à s’apitoyer sur le sort de ceux qui ont mis à genoux l’économie de leur pays, qui ont fait fi des années durant des principes éthiques les plus élémentaires dans la gestion des biens publics et dont ils ont fait un usage familial et partisan. En tout état de cause, l’honneur et le patriotisme commandent de participer aux efforts pour la traque, la restitution des biens et le recouvrement intégral des avoirs spoliés». Le 20 octobre 2015, Benno Siggil Senegaal, l’autre coalition de la mouvance présidentielle disait: «Tous ceux qui ont bouffé l’argent du peuple vont le sortir, et le rendre jusqu’au plus petit centime».

Macky disait pourtant: «Avec moi, tout va changer»

Le Président Macky Sall, lui, avait pourtant assuré: «Avec moi, tout va changer». Le  3 avril 2012, au pauvre citoyen, il avait promis: «Mes chers compatriotes, gouverner autrement, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et le trafic d’influence; c’est mettre l’intérêt public au-dessus de toute autre considération et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect (…). Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux». Le peuple jubilait, tellement il fut dégouté par la dilapidation de ses ressources, la prédation des deniers publics, les détournements, les malversations financières et foncières sous les libéraux.  Il venait de trouver son redresseur de torts. Le discours du nouvel homme fort collait tellement à la faim populaire de gouvernance éthique qui gargouillait dans les chaumières ! Aujourd’hui, la balle de baudruche a explosé.

 

Auteur: Youssoupha Sane - Seneweb.com

source:http://www.seneweb.com/news/Justice/affaire-karim-wade-chronique-d-rsquo-une_n_186474.html