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Ils s’appellent Sina Sidibé, Sara Kamara, Siré Wagne, Djimo Taouda, Issa Diallo, Boubacar Médoune Diop, tous ont un point commun : un amour fou pour Kédougou, leur terre natale, qui leur a valu les pires atrocités du monde. Si les deux premiers cités sont morts le jour même du soulèvement du 23 décembre 2008, pour oser réclamer un meilleur avenir pour Kédougou et les Kédovins, les autres ont tous payé de leur chair, leur engagement. Presque cinq ans (05) après la première intifada de Kédougou, L’Observateur est allé à la rencontre des victimes de la furie des Forces de l’Ordre. Un reportage bouleversant !
PAPE SAMBARE NDOUR, ENVOYE SPECIAL A KEDOUGOU
«Regarde, c’est là-bas ! C’est là que Sina est enterré. De l’autre côté, il y a mon cousin Sara. Ce sont les herbes qui cachent les sépultures, sinon on irait jusqu’à elles. Vous ne seriez pas venu en saison des pluies, on allait se recueillir. Mais, en ces temps d’hivernage, c’est un peu risqué de s’aventurer dans le cimetière. On peut être victime, à tout moment, d’une morsure de serpent.» Le taximan qui sert de guide dans le cimetière de Kédougou, un carré de quelques hectares, perdu dans les hautes herbes, ceinturé par un mur épais de briques en ciment qui s’effritent par endroits et peuplé d’arbres mouillés de tristesse, est subitement atteint par une crise d’hystérie. Comme un névrosé de guerre, le garçon remonte les souvenirs atroces qui tourbillonnent dans sa tête et irriguent ses tempes scarifiées de mauvais sang. Il raconte, meurtri. Gesticule par moments, minaude par instants. Mais ne se tait pas une seule seconde. Comme pour montrer aux frères morts pour le terroir que jamais leur sacrifice ne s’oubliera.
Voilà dix minutes qu’on est au milieu des morts de Kédougou et l’interminable récit du jeune homme, sorte d’avis de décès collectif, passe de l’insoutenable à l’ineffable. «Sara Kamara, vous le connaissez ?» Demande-t-il. «Non», répond-on. «Je savais… Je savais», réplique-t-il, la voix traînante. «C’est mon cousin, poursuit-t-il, presque en pleurs. La presse n’a jamais fait état de son cas et pourtant, il a vécu les pires atrocités. De tous les manifestants qui ont été tués lors des différents soulèvements à Kédougou, c’est lui qui a le plus souffert le martyre.»
C’était le 23 décembre 2008, au soir du premier soulèvement. Quelques heures avant le drame qui a emporté Sara, Kédougou, terre ocre d’affliction, lointaine bourgade du sud-est du Sénégal, situé à 732 kilomètres de Dakar, avait réuni, avec l’aide de ses étudiants venus exprès de la capitale, tous ses présidents d’association pour parler des misères de leur ville au sous-sol immensément riche et exploité par des firmes internationales, sans aucune politique sociale. Après différents pourparlers, la jeunesse a décidé de tenir un sit-in devant la gouvernance.
Le matin, toute la ville se rue vers les lieux. Dans la tête des uns et des autres, c’est un rendez-vous avec l’histoire à ne pas rater. C’est aussi le début de la marche de Kédougou vers le recouvrement de ses droits. Mais le rêve vire au cauchemar quand les forces de l’ordre, venues disperser les manifestants, jettent les premières grenades lacrymogènes dans la foule. La réplique est brutale. Puissante. Kédougou est en proie à une intifada sans précédent. Dépassées par les évènements, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les révoltés. Le jeune Sina est à terre. Il gît dans une mare de sang. L’image est triste et les jeunes décident de venger la mort de leur frère de combat. Le tribunal, la gendarmerie, la préfecture…tout est emporté par la furie des manifestants. Kédougou, jadis calme, connaît la plus longue journée de sa vie. La nuit est tombée sur le même chaos dans lequel s’est éteint le jour. Dans les rues de Kédougou, l’intifada se poursuit toujours. Des ombres survolent les cases en pailles ou en tôles, les édifices consumées par la furie des jeunes, et tombent dans l’étroitesse des quartiers survoltés, lieux de refuge des manifestants toujours révoltés contre les forces de l’ordre. «C’était soit des pierres soit des grenades», explique Sory, un témoin. Et c’est dans ces moments d’une terrible guerre de rue, qui avait poussé les gendarmes jusque dans leurs derniers retranchements, que Sara Kamara est alpagué. «Il est battu à mort à coups de crosse avant d’être déposé devant chez lui au quartier Mosquée», raconte Moussa, le taximan et guide du cimetière.
Le lendemain, Kédougou s’est réveillé dans un décor d’apocalypse. La capitale de l’or sénégalais est devenue un immense champ de ruines, une terre meurtrie, qui n’a pas encore dissipé toute sa haine, mais qui compte ses morts et ses blessés. Ses héros entre les mains des gendarmes aussi. 19 au total, qui vont payer leur rébellion jusque dans leur chair : torture, prison, abandon… Et 5 ans après l’horreur, les hommes du 23 décembre 2008 ont toujours les propos pleins d’amertume et le fort sentiment de s’être battus pour rien contre un Etat plus fort et qui continue de les narguer.
SIRE WAGNE, 52 ANS
«Ma femme brutalisée a mis au monde un enfant qui ne peut ni parler ni marcher»
«Héros ? Quel héros ? Je suis devenu une loque humaine incapable de se déplacer seul sur un kilomètre et même plus respecté par sa propre femme.» Quand Siré Wagne, 52 ans, rembobine le film de sa tragique vie, il baisse la tête pour cacher son regard d’enfant martyrisé par une souffrance intérieure. Pour cacher surtout cette honte qui lui suinte au visage en grosses perles de sueur froide. «J’ai tout perdu…Tout», pleure-t-il, la tête sous son lit déglingué. Il se retient un moment puis s’effondre : «Comme je ne pouvais plus me prendre en charge, j’ai divorcé d’avec ma première femme. J’ai été obligé de laisser les enfants suivre leur maman qui, honnêtement, s’occupe bien d’eux.» Comme lui le faisait, il y a quelques années. Quand il était encore apte à travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Quand Kédougou n’avait pas encore connu ce «maudit» soulèvement qui l’a rudement envoyée à terre.
Avant la première intifada de Kédougou, Siré Wagne était d’abord un garçon adulé, un footballeur dont les prédispositions au poste de Libéro avaient séduit toute la contrée. Il était pris pour modèle et beaucoup de jeunes rêvaient de suivre ses foulées dans les près. Ensuite, l’enfant de Dinguessou est devenu un père de famille respecté. Un président d’association, Planète verte, qui s’est engagé pour préserver la nature luxuriante et montagneuse de son Bélédougou natal. Quand les étudiants viennent le chercher chez lui, à la veille du soulèvement, c’est pour lui une occasion de s’exprimer pour son terroir, de dire non à la paupérisation de Kédougou et de ses enfants, laissés pour compte dans l’exploitation de son or par les grandes firmes internationales. Pas pour se retrouver face à des gendarmes suréquipés, à se débattre pour sa survie.
Ce jour-là, pendant une dizaine de minutes, Siré essaye de s’accrocher à la vie. Coincé par les forces de l’ordre, il est envahi par une meute d’éléments de la marée-chaussée, qui s’esquintent les bottes anti-émeute sur son corps déjà longuement traîné sur la latérite. «Des coups de pieds, de matraque, de crosse… j’en ai pris partout. Même à la tête. Mais, c’est au genou qu’ils m’ont fait le plus mal», explique-t-il, encore traumatisé par le sordide flash-back. Il ajoute, meurtri : «Quelqu’un s’est mis debout sur ma rotule…» Et puis paf ! Abandonné presque mort, Siré s’est mis à fuir à haillons sur un genou en s’aidant de ses coudes et en épargnant ses mains pilées à la crosse.
Au deuxième jour de sa fuite dans un village près du fleuve Gambie qui irrigue les entrailles du Sénégal de l’Ouest à l’Est, Siré est informé d’une bien triste nouvelle. La nuit précédente, les gendarmes ont fait une descente chez lui pour l’arrêter. Ils ont débarqué en pleine nuit dans sa case où dormait seule sa (seconde) femme enceinte de 8… longs mois. Ils ont commencé par arracher la fenêtre faite en zinc sur un cadre de lattes. Et quand madame Wagne a crié, l’autre équipe qui était postée devant la porte lui a intimé l’ordre d’ouvrir. «Ils lui ont demandé d’ouvrir la porte au plus vite, sinon ils allaient la défoncer. Madame s’est exécutée. Ils ont fait irruption dans la chambre. Ils m’ont cherché partout. Sous le lit, dans l’armoire…partout. Comme il n’y avait aucune trace de moi dans la chambre, ils ont demandé à ma femme de leur dire où j’étais. Elle leur a dit qu’elle n’avait aucune nouvelle de moi. Ils l’ont brutalisée et le lendemain, elle a accouché avant terme d’un garçon», raconte Siré, au bord des larmes. «Ce qui est insupportable dans cette histoire, poursuit-il, c’est que mon fils a aujourd’hui presque 5 ans, mais il ne peut ni marcher ni parler. Il m’arrive de le regarder immobile sur sa poussette et de partir en sanglots.»
Arrêté quelques jours après son retour à Kédougou, puis envoyé à la prison de Tamba d’où il ressort 3 mois plus tard, Siré Wagne est depuis, Siré Wagne le teigneux garçon de Dinguessou, qui a décroché son Bfem à 46 ans, en 2007, un vieillard ravagé par cette maudite histoire de sit-in qui a mal tourné. Aujourd’hui, le Kédovin qui se bat avec des démons financiers à la petite semaine ne vit que pour l’espoir… Ce grand espoir de voir sa fille aînée et son fils qu’il a eus avec sa première femme, et qui ont décroché respectivement le Baccalauréat et le Bfem, réussir leur vie. «Mais aussi que l’Etat me paie les 50 millions de dommages et intérêts que le tribunal a retenus contre lui. J’espère que vous n’allez pas l’oublier. C’est important», confie-t-il. On ne l’a pas oublié !
DJIMO TAOUDA, 24
«Quand la balle m’a transpercé le ventre…»
Si la mort a une odeur, Djimo Taouda la connaît. Le jeune menuisier métallique a respiré, pendant des heures, dit il, «cette odeur de souffre sèche», mêlée d’une suffocante sensation de perte de souffle. Agé de 19 ans, à l’époque du premier soulèvement, le mineur de Dallaba, un quartier à front de montagne de l’Est de Kédougou, excité par toute cette foule qui convergeait vers la gouvernance de Kédougou, n’a pas voulu, lui aussi, se faire raconter cet évènement historique. Djimo n’a pas perdu de temps pour aller répondre à l’appel de ses grand-frères. Il court dans la chambre de sa mère, met son T-shirt, un pantalon et prend le chemin le plus usité de cette historique matinée Kédovine. Au centre-ville, il est là dans la foule, répète les slogans. Il ne rate rien, participe à tout. Jusqu’à l’horreur. «Quand les choses ont dégénéré, je n’ai pas fui. J’étais au-devant en train de chercher des pierres pour répliquer aux gendarmes qui nous avaient bombardés de gaz lacrymogènes», raconte-t-il.
Le reste de l’histoire, c’est à l’hôpital régional de Tambacounda qu’on le lui a raconté. «Je n’ai rien vu venir. J’ai senti une douleur au niveau du ventre et du sang qui en sortait à flots.» Djimo venait de recevoir une balle sur les flancs. Il est vite porté par les autres manifestants qui l’acheminent d’abord au district sanitaire de Kédougou. Mais, son cas est trop grave pour être géré dans ce centre de santé où il manque parfois de tout. «Il faut l’évacuer sur Tamba», a ordonné une voix. Djimo ne se rappelle plus, si c’est celui du médecin-chef ou d’un autre toubib. Mais, il a senti son corps posé sur un brancard, puis déposé dans l’ambulance. Commencent 230 kilomètres de souffrance entre Kédougou et Tamba. Le garçon, qui adore mater du paysage quand il voyage, gît dans l’ambulance, le ventre houssé de bandage pour empêcher qu’il ne se vide de son sang. Rien n’y fait. Djimo est arrivé à Tamba avec beaucoup de sang en moins et le pouls très faible. Il est admis aux Urgences et opéré séance tenante. «Aucun organe n’est endommagé, vous ne risquez rien», lui a dit un docteur. Djimo respire mieux. Il pense que son calvaire est fini, mais il vient de commencer.
Au lendemain de son hospitalisation, il est exfiltré de l’hôpital et conduit aux locaux de la Section de recherches de Tamba. «J’ai dit aux agents qui étaient venus me chercher que je souffrais toujours et qu’il fallait qu’ils me laissent me reposer. Mais, ils ont catégoriquement refusé.» A la gendarmerie, Djimo est auditionné. On lui demande les raisons de sa présence sur les lieux, qui l’y a convié ? Est-il au courant d’un plan de sabotage des institutions de Kédougou ? «J’ai dit ce que je savais, mais apparemment, ils ne m’ont pas cru. Après mon audition, j’ai été placé dans la cave de la gendarmerie en compagnie d’autres manifestants arrêtés la veille à Kédougou.»
Dans ce trou, Djimo souffre terriblement. Il se tord de douleur, grimace parfois, pleure souvent. Son cas inquiète tous ces codétenus. Excédé par ce trop plein de souffrance, qui se sentait jusque dans la respiration chaotique de Djimo, l’un d’entre eux, un médecin originaire de Kédougou, décide que les choses doivent s’arrêter là. Que Djimo doit retourner à l’hôpital. «Il a dit aux gendarmes qu’il était médecin et que si jamais je mourrais à l’hôpital, il allait les poursuivre», se rappelle le jeune révolté. Les gendarmes hésiteront un instant avant de le renvoyer à l’hôpital. Mais, Djimo n’y reste que quelques heures. Dès le lendemain matin, il est retourné à la gendarmerie, puis déféré à la Mac de Tamba. «J’ai passé trois mois sous assistance, explique-t-il. Si j’en suis sorti, c’est grâce au soutien des autres. C’est en prison que mes plaies ont commencé à guérir.» Malgré tout, Djimo, le jeune menuisier métallique en garde encore des séquelles. «Je ne peux pas, par exemple, m’étirer les bras. J’ai très mal au ventre quand je tente de le faire. Pour le moment, ça ne m’handicape pas trop. Mais, j’ai peur qu’avec l’âge, cela ne me crée de sérieux problèmes.» De graves ennuis sanitaires.
ISSA DIALLO, 48 ANS
«Le sang coulait de mon nez et il continuait à m’asperger du gaz…»
coule Ça c’est stoppé. Après quatre ans à courir tous les jours le long de ses narines, le sang ne plus du nez de Issa Diallo. Et le quadra en est heureux. Très heureux même de ne plus passer des journées sombres et des nuits blanches à cogiter sur son sort, à penser plus à la mort qu’à la vie. A ressasser surtout cette tragique journée où il a échappé à la mort de justesse et à maudire devant l’éternel les forces de l’ordre de Kédougou qui l’ont plongé dans cette situation de peur perpétuelle. Président des anciens militaires de Kédougou, Issa a été le premier arrêté après le soulèvement populaire du 23 décembre 2008. «C’est le capitaine d’alors du camp, un certain Sène, le préfet et son adjoint qui sont venus m’arrêter à Kéo, au quartier Dandémayo. Ils m’ont conduit au camp militaire où ils m’ont mis en isolement pendant 48h.» Sans aucune nouvelle de sa famille et des amis qui l’ont cherché partout. En vain !
Son délai de «garde à vue» terminé, Issa est transféré à la brigade de gendarmerie. Là, il est accueilli par des hommes excédés par la colère de la rue publique qui a mis à genou toutes les institutions de la République à Kédougou. Sans perdre de temps, Issa est envoyé directement en salle d’interrogatoire, de torture plutôt. «Comme j’étais militaire, ils ont pensé que j’étais le cerveau des manifestations, que j’avais tout planifié. Ils m’ont dit d’avouer que j’étais derrière tout cela et qu’ils me laisseraient tranquille, ce que j’ai catégoriquement refusé», raconte Issa. Son refus ferme sonne malpoli aux oreilles des forces de l’ordre. Et sa sérénité est signe de défiance à leurs yeux. «Comme je refusais de dire ce qu’ils voulaient entendre, ils m’ont conduit de force dans la brousse.»
Sous les montagnes et le chaud soleil de Kédougou, Issa va vivre les pires moments de sa vie. On lui fait subir les supplices les plus terribles. «Ils m’ont maîtrisé, raconte Issa avec des trémolos dans la voix. L’un a sorti une bombe à gaz et me l’a pompé en plein nez. J’ai crié un instant avant de perdre connaissance. Ils m’ont réveillé et le supplice a continué tout le temps qu’a duré leur tentative de me faire avouer que c’est Amath (Dansokho, leader du Parti de l’indépendance et du travail (Pit/Senegal) et originaire de la ville de Kédougou, Ndlr) qui avait commandité les casses. Du sang coulait de mon nez, mais le gars continuait de m’asperger du gaz.» Ce sera ainsi, jusqu’ à son transfèrement à la Section de recherches de Tamba et son emprisonnement à la prison régionale de la capitale du Sénégal oriental.
Depuis, 5 longues années ont passé, mais Issa souffre encore de ce traitement inhumain. Malgré l’arrêt des saignements, l’ex-soldat souffre toujours de problèmes respiratoires. «J’ai les narines qui grattent toujours. Souvent, j’ai même des problèmes pour respirer correctement. J’e n’ai pas beaucoup de moyens pour aller voir un spécialiste, mais avec le temps, j’espère que ça va s’arrêter», dit-il, impuissant face à sa…maladie.
BOUBACAR MEDOUNE DIOP, 53 ANS
«Ils m’ont déshabillé de force, m’ont aspergé d’eau et placé sous la clim»
A le voir s’extirper de sa chambre, un petit magasin désaffecté du site abandonné de la Société des eaux (Sde) de Kédougou, on est forcément traversé par un long moment d’humanité. On se dit même, avant de lui poser la question, comment ils ont pu… Comment les Forces de l’ordre ont pu torturer ce handicapé moteur qui se tient à peine debout sur ses béquilles ? Pourtant, ils l’ont fait. Boubacar Médoune Diop raconte : «Je n’ai pas subi de torture violente, mais j’ai subi une torture humiliante.»
Le Secrétaire à l’organisation du Rassemblement pour le progrès de Kédougou (Rpk) a eu sa part de sévices au lendemain du soulèvement. Boubacar, tailleur de son état, est cueilli en train de pédaler sur sa machine. Il est conduit directement à la gendarmerie. «Sur place, j’ai été déshabillé de force. Ils m’ont laissé nu comme un ver de terre, m’ont aspergé d’eau, avant de me placer sous la clim.» Pour un habitant de Kédougou où le climat oscille presque toute l’année entre 40 et 47 degrés, la torture a été d’une grande sévérité. «J’ai tellement grelotté que j’ai pensé un moment que j’allais y resté. Que j’allais mourir d’hypothermie. Ce qui est plus dévalorisant, c’est qu’ils étaient là, à rire de la façon dont je me tenais avec mes béquilles.»
Passée l’étape de la gendarmerie, le handicapé moteur vivra aussi quelques périodes troubles en prison à Tambacounda. «Là-bas, on dormait sur des nattes minablement jetées à terre. Et le fait de se coucher tout le temps à même le sol, sans beaucoup de mouvements a joué sur la motricité de mes autres membres.» Sorti de prison, Boubacar a été obligé d’abandonner son métier de tailleur. Sa seule jambe avec laquelle il pédalait ne tient plus. «Il suffit aujourd’hui que je me mets sur la machine pour que, 5 minutes après, mon pied enfle jusqu’à épouser l’enflure de mon pantalon, raconte-t-il. Le matin, j’ai toutes les difficultés du monde pour me lever. Pour pouvoir marcher, je suis obligé d’attendre le soleil pour chauffer un peu mon pied d’appui.»
REPORTAGE…. A LA RENCONTRE DES VICTIMES DU SOULEVEMENT DU 23 DECEMBRE 2008 Kédougou, un jour en enfer
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