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Porokhane : Au sein du Mouridisme

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L’OBS - Son héritage est inépuisable. Mame Diarra Bousso, mère de Cheikh Ahmadou Bamba, le pôle du Mouridisme, a vécu pour servir d’exemple à toutes les femmes sénégalaises. Qu’elles soient dans une dynamique traditionnelle ou moderne. Parler de Mame Diarra Bousso nécessite un avant-propos. Parce que sur la mère du Mouridisme, tout a été dit. Ou presque. Des torrents d’encre ont, générations après générations, noirci les manuscrits du savoir, sans pour autant jamais réussir à épuiser son œuvre. Parce que le paradoxe de «Diâriyatul Lâhi» est qu’elle vivait loin de toute ostentation. En femme simple, ordinaire. Extraordinairement simple. Le serait-on moins pour ne pas faire grand cas d’une nuit entière passée sous la pluie, attendant jusqu’aux premières lueurs de l’aube l’ordre d’abandonner le pan de la clôture que son mari lui avait demandé de tenir ? 

 

Ou pour se jeter la tête la première dans un puits pour apporter le liquide précieux à son époux ? Dévouée jusqu’à l’effacement, la «Voisine de Dieu» n’a laissé aucune chance à ses illustres hagiographes et poètes, comme Serigne Moussa Kâ et Serigne Mbaye Diakhaté, de cerner toute une vie de dévotion. Alors passer votre chemin si vous espérez découvrir dans ce récit un fait inédit. Cessez ici la lecture si votre dessein est d’y trouver un mur à la gloire des œuvres miraculeuses de Mame Diarra Bousso. Les gardiens de sa vie, là-bas à Porokhane, ne le veulent pas ainsi. «Quand on veut convaincre les esprits cartésiens, l’on met de côté l’irrationnel», sourit doucement Serigne Massamba Diop qui, depuis 25 ans qu’il surveille le repos éternel de la Grande Royale de Porokhane, a appris à composer avec Africains, Maghrébins, Occidentaux, Asiatiques… Tout interlocuteur en quête de savoir. Un peu comme a appris à le faire aussi, avec moins de réussite, le gardien du fameux puits. «On évite de trop s’étendre sur l’épisode du puits, parce que je ne saurais quoi faire s’il arrive qu’un fervent veuille se jeter dedans», rit Serigne Touba Khouma, un homme agréable, d’âge assez avancé et encore traumatisé par l’épisode d’un jeune talibé inconsolable au moment de goûter à l’eau bénite. Alors écoutez enfants d’une époque aux valeurs importées. Ecoutez le récit d’une femme aux avant-postes de tous les combats dits modernes et apprenez de sa tradition. De votre tradition ! Femme engagée. Ecrin niché à 7 km de la commune de Nioro, Porokhane n’a rien d’autre à offrir au visiteur que ses lieux de culte dédiés à la mémoire de la mère du Mouridisme. Une réalité dont sont conscientes les populations de cette partie du Saloum qui, chaque année, attendent avec impatience que soit fixée la date du Magal éponyme. Une période faste qui permet aux commerçants et cultivateurs de réaliser leur chiffre d’affaires annuel. Un des miracles dus à l’aura de Mame Diarra. «Seugn» Seck, comme l’appelle affectueusement ses grands enfants, ne peut pas avancer un chiffre exact, mais il reste sûr de son fait. Après tout, c’est un quartier qu’il a sous sa gouverne depuis bien longtemps. Il n’avait pas encore les cheveux aussi blancs que maintenant. Et surtout, ses jambes pouvaient encore le porter, chaque matin, jusqu’au mausolée, à 3km de sa concession où un appartement est emménagé pour chacune de ses femmes. Ce jour-là, enfoncé dans son hamac, «Seugn» Seck taquine gentiment sa deuxième épouse. «Vous devriez suivre l’exemple de Mame Diarra, elle qui ne demandait jamais de quoi faire les courses.» Rires sous-entendus, rires d’incompréhension. L’Histoire s’est beaucoup focalisée sur les faits miraculeux qui ont jonché la vie de la mère de Serigne Touba, oubliant de vulgariser les gestes de la vie quotidienne qui la place au centre des combats dits modernes. Mame Diarra Bousso était-elle une femme émancipée ? La question fait rire Serigne Massamba. De ce doux sourire que seul détiennent les sages. Pieds protégés par des chaussettes noires, le gardien du mausolée inspecte l’endroit qui, autrefois, était le cimetière du village. Les «Diarra Diarra», de vieilles femmes ayant dédié leur vie à l’entretien du mausolée, ont fini de faire brûler l’encens. Une agréable brise propage l’effluve, faisant voler des livrets de «khassaïdes». Ils seront ramassés sans hâte par Serigne Massamba qui revient déjà de son inspection. «Le terme tel que galvaudé aujourd’hui et qui place la femme au même niveau d’égalité que l’homme, ne sied pas ici. On peut dire d’elle qu’elle l’était, si on sous-entend qu’elle se battait avec ses propres moyens pour maintenir son foyer à flot», dit-il, en s’asseyant en tailleur sur son tapis de prière, avant de lever un coin du voile. Mame Diarra était une femme pudique, elle avait du mal à tendre la main à son mari pour la dépense quotidienne. Lorsque venait son tour de mettre la marmite sur le feu, elle se servait dans un potager qu’elle s’était emménagé. «Je le tiens de source sûre, car une de mes grand-mères était sa coépouse», révèle Serigne Massamba Diop. L’anecdote sera confirmée par Serigne Cheikh Bousso, Imam de Porokhane et parent de sang de Mame Diarra. «Elle se sacrifiait pour subvenir aux besoins de sa famille et de son époux particulièrement.» Serigne Moussa Kâ raconte qu’un jour, elle a dû mettre ses bracelets en gage auprès de la femme qui lui fournissait du lait caillé, juste pour le plaisir de continuer à servir encore quotidiennement le lait à son mari. Le cadi Momar Anta Saly Mbacké qui avait en charge, dans son foyer, un nombre conséquent d’étudiants que la mère de Serigne Touba se faisait un devoir de nourrir et de vêtir. «C’était sa façon de se battre contre la mendicité, sujet qui tient à cœur la société moderne», souligne le gardien du mausolée. Ousmane Mbaye est un ancien de la Société nationale d’électricité (Senelec) qui a décidé de consacrer sa retraite à la vie et à l’œuvre d’Ahmadou Bamba. Guenille sur la peau et pieds nus, le vieil édenté regarde distraitement son fils ranger le matériel sonore. Dans le quartier, il fait office de Dj pour les veillées religieuses, pour la bonne et simple raison que, depuis 1978 qu’il a commencé ses travaux, il a accumulé près de 200 enregistrements avec 28 contemporains de Borom Touba. A Porokhane, il s’est installé près de l’arbre mythique où le vénéré homme avait l’habitude, à 13 ans, d’étudier le Coran. «On a l’habitude de parler de ce fameux épisode du puits en occultant un autre très révélateur. Par jalousie pour la réputation sans faille de leur voisine, les femmes de Porokhane ont, un jour, retiré puis caché l’appareillage qui sert à puiser de l’eau dans le puits. En désespoir de cause, Mame Diarra s’est servie de ses pagnes pour se faire une corde. Après avoir fini de puiser de l’eau, elle a mis les pans de tissus à sécher sur la clôture de la concession. Au petit matin, les élèves se sont précipités dessus pour s’en vêtir, au grand bonheur de la dame», explique Ousmane Mbaye, qui étaye par là, le caractère engagé d’une femme qui a voué sa courte vie (33 ans) au confort de ses voisins, de son mari, de ses enfants dont une lui fit enlevée. Son fils, sa bataille. L’usage est fréquent et souvent à tort de dire que, traditionnellement, l’école n’était fréquentée que par les garçons. C’est en tout cas une assertion fausse dans ce cas de figure. Non seulement Mame Diarra Bousso fut éduquée dès le bas âge, mais en plus, c’est sa mère, Sokhna Asta Walo Mbacké (Nawel), une femme qui a consacré toute sa vie à l’adoration de Dieu, qui s’est chargée de lui transmettre le savoir islamique. Parce qu’elle a baigné, dès son plus jeune âge, dans cette atmosphère de piété et de spiritualité, elle fit de la prière, du jeûne, des dons pieux et du travail son viatique. Persuadée que de la grandeur de ses sacrifices et de sa soumission totale aux lois divines, naîtra une progéniture exceptionnelle. L’histoire lui donnera raison. Mère de Serigne Mouhamadou Mor Diarra (Borom Sam), de Serigne Abibou Lahi, de Sokhna Fatima et  du serviteur privilégié du Prophète Mouhamed (PSL), Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, elle s’attela très tôt à l’éducation de ses fils. L’éducation par l’exemple. «Au puits, lorsqu’il n’y avait pas assez d’eau, elle s’asseyait sur la margelle et lisait le Coran, alors qu’elle avait Borom Touba au dos», susurre le gardien du puits, en faisant un geste du doigt vers le rebord du puits de 6m. Serigne Bassirou Mbacké, dans son livre «Minanoul Bakhi Khadim», explique que Sokhna Diarra savait trouver le temps de s’occuper de l’éducation et de la formation de ses enfants. Elle aimait leur  raconter très souvent  l’histoire des saints et des pieux anciens afin que leur vie leur serve d’exemple, de référence. C’est ainsi que Cheikh Ahmadou Bamba se retirait, dans la nuit parce qu’ayant entendu sa mère dire que les valeureux preux de l’Islam avaient l’habitude d’être debout toute la nuit. Mère dévouée, elle n’a jamais mis d’entrave aux besoins de solitude de son fils cadet. Tout au contraire. «Jeune et en perpétuelle quête d’isolement, Serigne Touba ne disait jamais à sa mère où il allait. Mais, Mame Diarra ne manquait jamais de partir à sa recherche pour lui apporter de la nourriture», raconte Serigne Ousmane Mbaye, en découvrant l’endroit exact sous l’arbre où Serigne Touba avait l’habitude de venir méditer, alors qu’il n’avait que 13 ans. Si elle a consenti très tôt à tous ses sacrifices pour son fils cadet, c’est parce que, par dessus tout, Sokhna Diarra détenait une force spirituelle rare chez une femme qui lui permit de percevoir très tôt et surtout, de taire le caractère exceptionnel de son fils. Serigne Mbaye, gardien du de l’arbre, en est persuadé. «Cette époque n’est pas la même que celle d’aujourd’hui. On prenait soin de taire ces choses-là. En exemple, il fit rapporté que le frère aîné de Serigne Touba récitait le Coran, alors qu’il était au sein, sans que jamais elle n’en souffla mot à quiconque.» Parce que sa vie fut courte (33 ans) et surtout parce qu’elle était, à son époque, perçue comme une épouse normale, la Grande Royale de Porokhane ne connut le succès qui doit aujourd’hui à cette ville tant de retombées financières en un jour, bien après sa mort. Après que Serigne Touba a spécialement dépêché son fils, Serigne Bassirou Mbacké, pour venir tenir compagnie à sa mère à Porokhane. Serigne Ousmane Mbaye, la main sur le cœur : «J’avais toujours entendu cet adage sans vraiment y prêter attention. J’ai commencé à réellement y croire le jour où Serigne Saliou me l’a répété. Il m’a dit : «Pourquoi être venu chercher Cheikh Ahmadou Bamba à Touba, alors qu’il est toujours au chevet de sa mère».» 

 

 

AICHA FALL THIAM

 

source:http://www.gfm.sn/porokhane-au-sein-du-mouridisme/