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Henri Camara à cœur ouvert «En 2002, il y avait des clans dans la Tanière»

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iGFM – (Dakar) Recordman des sélections et meilleur buteur de l’histoire de l’équipe du Sénégal, Henri Camara ne flinguera plus. Boy Karack a décidé de mettre fin à sa riche carrière professionnelle. A 40 ans, Henri accepte, en exclusivité pour Record, de revenir sur des épisodes douloureux de son parcours, faisant des révélations sur la génération 2002 dont il est l’un des piliers.

Henri, à 40 ans, songez-vous à prolonger votre contrat ?

 

Là, c’est fini. J’ai complètement arrêté ma carrière. C’était la dernière saison. Je suis arrivé au terme de ma carrière et là je vais prendre ma retraite professionnelle. Je ne sais pas si je vais encore monter sur le pré mais sachez que pour l’instant c’est fini.

Quel bilan tirez-vous de votre carrière ?

Je n’ai aucun regret dans ma carrière. Je suis satisfait de mon parcours. J’ai atteint beaucoup d’objectifs en jouant notamment une finale de Coupe d’Afrique et aussi une Coupe du monde qui reste le rêve de tout footballeur. En clubs, aussi j’ai joué beaucoup de finales. Bizarrement, j’ai perdu toutes les finales que j’ai jouées. Mais pas de regret, j’ai joué de malchance.

Malgré votre talent reconnu, vous n’avez jamais joué dans un grand club…

Cela saute aux yeux. Tout le monde me le dit. Avec le talent que j’avais, je méritais de jouer dans de grands clubs européens. Malheureusement, j’étais mal entouré, je n’avais pas un bon agent. Il arrive qu’un joueur signe dans un club non pas parce qu’il a du talent mais plutôt grâce à un manager influent. Moi, je n’avais pas ça. Je ne suis pas le seul dans ce cas. Il y a d’autres joueurs qui ont vu pire.

N’y avez-vous pas aussi une part de responsabilité de par vos choix ?

C’est vrai mais n’oubliez pas non plus que j’étais très jeune à l’époque. J’avais horreur de rester sur le banc de touche. Je n’étais animé que par un seul souci : jouer au football. C’est pourquoi je demande aux plus jeunes de rester vigilants. Parce que quand on est au sommet de son art, on est courtisé par des agents. Mais, je pense qu’à ce niveau, les parents ont une part de responsabilité parce qu’ils doivent protéger leurs enfants. Il ne faut pas se précipiter parce que certains agents ne sont souvent mus que par leurs propres intérêts. Je sais de quoi je parle. J’ai été victime de ces pratiques-là. Tous mes agents pensaient d’abord à leurs poches avant de se soucier de ma carrière. Ils travaillaient comme des courtiers. Malgré tout, je n’ai pas regretté parce que ça m’a permis de penser à investir au Sénégal. C’est vrai que sur le plan sportif, ma carrière a été un gâchis. L’anecdote que je donne souvent c’est qu’après la Coupe du monde 2002, à mon retour à Sedan, mes coéquipiers m’ont demandé ce que j’étais venu chercher là-bas. Ils me voyaient tous changer de club. Ce qui veut dire qu’il y avait problème.

Quel est l’agent qui vous a le plus déçu ?

Le premier, un nommé Nicolas Geiger. C’était le plus vorace. Il me faisait signer des papiers vierges avant d’aller y mettre tout ce qu’il voulait. Je venais juste d’arriver dans le monde professionnel et je n’avais rien compris. Quand on débarque pour la première fois en provenance de l’Afrique, on ne voyait que l’argent. Le gars en a profité pour me gruger. Mais par la suite, quand il y a eu des problèmes, on l’a attaqué au Tribunal. C’était du vrai truandage. Je ne vous dirai pas le montant que j’ai encaissé par la suite mais retenez que c’est moi qui avais gagné le procès.

Parlez-nous de la Coupe du monde 2002…

Quatre années auparavant c’est à la télévision au Sénégal que j’ai suivi la dernière Coupe du monde. Je supportais mon équipe préférée, le Brésil, ainsi que la France. A chaque fois qu’une de ces équipes gagnait je jubilais dans le quartier. Ironie du sort, 4 ans après je devais prendre part à cette compétition mondiale. C’était un rêve que l’on ne réalise pas pendant la compétition. C’est bien après que l’on réalise qu’effectivement on a une fois pris part à une Coupe du monde et cela reste à jamais gravé dans nos cœurs.

Comment avez-vous vécu du banc de touche la première sortie du Sénégal dans cette compétition, contre la France justement ?

Aujourd’hui, je vais vous dire les choses sans porter de gants. Qu’elles plaisent ou pas, j’en assumerai pleinement les conséquences. Si j’étais sur le banc de touche lors de cette rencontre inaugurale contre la France, c’est parce qu’il y avait un clan de joueurs qui était là et qui dictait sa loi. Ils ont fait exprès de me laisser sur le banc de touche avec bien entendu la complicité du staff technique d’alors. Et ces gens-là savent bien de quoi je parle.

Ah bon ?

Bien sûr. Il y avait des joueurs et le coach, Bruno Metsu -que la terre lui soit légère- qui avaient fait leur onze. Je ne dirai pas de nom. En 2002, il y avait des clans dans l’équipe et les plus forts n’hésitaient pas à écraser les plus faibles. Et ils faisaient la pluie et le beau temps.

Ce qui veut dire que vous aussi vous aviez votre clan ?

Non du tout. Moi, j’étais tout le temps avec Pape Bouba Diop (son coéquipier en junior et senior au Jaraaf, ndlr). On était tout le temps dans notre coin sans vouloir du mal à qui que ce soit. Malheureusement, c’est ma personne qui dérangeait certains. Ces gens ne me sentaient pas du tout et jusqu’ici je ne peux pas vous dire pourquoi ils m’ont autant détesté. Mais bon, c’est la vie.

Est-ce à cause de ces clans que le Sénégal est rentré prématurément en s’inclinant face à la Turquie en quart de finale ?

Je ne sais pas. Justement pour ce match contre la Turquie, il y avait des joueurs qui ont démarré mais qui ne méritaient même pas de jouer. La raison aurait voulu que l’équipe qui a gagné (2-1 avec un doublé d’Henri Camara en 8ème de finale, ndlr) contre la Suède démarre. Tout le monde sait que l’on ne change pas une équipe qui gagne. Moi, je dis les choses telles qu’elles sont, je n’ai pas peur de dire la vérité. Ce sont les clans qui ont tout chamboulé. Le meilleur match du Sénégal c’était en 8ème de finale contre la Suède. Amdy Faye avait fait un match époustouflant. Malheureusement, pour le match suivant, il n’avait même pas joué 5 minutes. Parfois, les coaches font des erreurs qui portent préjudice à l’équipe.

Vous n’aviez pas porté préjudice à l’équipe avec cette frappe de Fadiga que vous aviez interceptée alors que le ballon filait au but ?

(Éclats de rires). Je ne sais même pas ce qui m’a fait contrôler cette frappe de Fadiga. C’était vraiment aberrant.

Comment avez-vous vécu toutes ces affaires-là ?

La cohésion du groupe chantée par tous était du pipo. En 2002, il y avait bel et bien des clans. Et ces déclarations ne vont pas surprendre ceux qui étaient dans le groupe. Cela s’est matérialisé par des bagarres spectaculaires dans la Tanière. On peut dire que les joueurs avaient envie mais il y avait aussi la rancune. J’ai assisté à la bagarre entre Aliou Cissé et Khalilou Fadiga qui se sont cognés comme des boxeurs. C’est Aliou qui avait lancé le premier coup de poing. J’étais là assis à côté de Salif Diao, c’était à la mi-temps d’un match. Et n’eut été l’intervention de feu Jules François Bocandé le pire allait se produire. Il y avait aussi cette bagarre entre Ferdinand Coly et Pape Sarr à l’entraînement. Coly avec son tempérament, n’acceptait jamais qu’on se relâche au marquage. Donc, ça a chauffé entre eux et ils se sont frottés aussi.

Du dehors, on ne s’imaginait les joueurs, des professionnels, se donner ainsi en spectacle…

Chacun a son caractère personnel. C’était de vrais Lions. Parce que parfois même si tu jetais un regard sur quelqu’un il était énervé. Il y avait l’envie.

Vous avez tantôt dit que vous étiez tout le temps avec Pape Bouba Diop. Là, vous n’êtes jamais ensemble. Quel est le problème ?

Je ne veux vraiment pas m’avancer sur ce sujet. On ne s’appelle pas. Chacun fait sa vie comme il l’entend et s’occupe de sa famille. Maintenant, si on se voit, on se salue sans problème.

Sur quoi avez-vous plus investi pour gérer votre fin de carrière ?

Je me suis spécialisé dans l’immobilier depuis fort longtemps. J’ai des appartements à Paris et des terrains nus au Sénégal et des immeubles à Dakar. Je ne regrette pas et je pense que les immeubles que j’ai au Sénégal peuvent me permettre de subvenir à mes besoins jusqu’à la fin de ma vie. Je ne vais pas vous dire le nombre de maisons que j’ai à Dakar. Quand je jouais, les gens disaient que j’étais radin mais je ne suis pas de ces footballeurs qui courent les boites de nuit ou qui dilapident leur argent sans penser à l’après-carrière. Je me suis tout le temps dit que ma dignité ne me permettrait pas d’aller contracter des prêts ou quémander après ma carrière. C’est pourquoi je me suis bien préparé.

Resterez-vous dans l’immobilier ou alors vous restez au contact du football ?

Je ne sais pas pour l’instant. Des gens m’ont contacté pour travailler avec moi. Mais, je n’aime pas le travail d’agent parce qu’il est ingrat. Il y a beaucoup de trahisons dessus. Et c’est ce qui m’énerve.

Pouvons-nous aborder la Coupe du monde 2018 ?

Bien sûr. J’ai suivi avec un intérêt particulier le tirage au sort. La poule du Sénégal est abordable. On pouvait tomber sur plus difficile. Mais celle-ci est prenable. Malheureusement, le Sénégalais aime bien négliger ses adversaires supposés inférieurs. Mais, ce n’est pas avec la parole que l’on va gagner contre la Pologne, la Colombie ou le Japon. Pour y arriver, il faut vraiment se battre.

Le Sénégal a-t-il les moyens de s’en sortir ?

C’est possible mais ça ne sera pas facile. Et pour ne pas décevoir, je pense qu’il faut d’abord mettre des garde-fous. On a des joueurs comme Sadio Mané et Diao Baldé Keita sans oublier de bons défenseurs tels que Kalidou Koulibaly et Kara Mbodj. Mais ils sont tous connus des adversaires. En 2002, quand on jouait contre la France, personne ne nous connaissait. Mais, au Sénégal, ceux qui ne savent rien du haut niveau, ce sont eux qui commentent les matchs. Ils ignorent les exigences du haut niveau.

Quelle lecture faites-vous du coaching d’Aliou Cissé ?

En tant que footballeur, Aliou Cissé était hargneux. Tout le monde pouvait aller avec lui en guerre. Aujourd’hui, il prouve qu’il reste toujours ce capitaine et ce vrai leader. Là, on sent nettement que c’est un père de famille qui couve ses enfants. Malheureusement, les Sénégalais ne comprennent pas ça ainsi. En tout cas, moi, je ne suis pas surpris de ses résultats en tant que sélectionneur national.

Justement, il paraît qu’en 2002, il y avait des joueurs qui contestaient le leadership d’Aliou Cissé ?

C’est vrai. En un moment, il était question de récupérer le brassard parce que le clan avait son plan. La décision du coach était contestée. Ce sont eux qui ont réglé le problème. S’ils étaient parvenus à récupérer le brassard de capitaine, Aliou Cissé n’allait jamais jouer. D’ailleurs, je m’en foutais pas mal de tout cela parce que je n’avais qu’un seul problème : venir au rassemblement et le jour du match faire le maximum pour faire gagner mon pays. Je n’ai jamais aimé les détails contrairement à certaines personnes qui ne gèrent que cela. En tout cas, il y a des gens qui me regardaient avec condescendance et ça je ne le leur pardonnerai jamais. Si je ratais ne serait-ce qu’un contrôle dans un match, j’avais l’impression que j’allais me faire tuer par ces gens-là.

Il s’est dit qu’après le match contre la France, vous vouliez quitter le groupe pour rentrer en France…

Vous savez si je n’étais pas armé de courage, j’allais passer à la trappe. En un moment donné, je ne me suis pas senti dans ce groupe. En 2002, j’allais effectivement repartir après le match contre la France. Malheureusement, je n’avais pas mon passeport. Après la Coupe du monde, il y a un joueur du clan qui m’a avoué que s’ils ont demandé au coach de me laisser sur le banc de touche, c’est parce qu’ils savaient que ce serait difficile de faire le onze. Il fallait sacrifier un joueur et c’était moi qui ai payé les pots cassés. J’avais voulu quitter le groupe mais si j’étais rentré aussi, le Sénégal n’allait jamais accéder en quart de finale. Ce qui veut dire que seul Dieu est juste.

Par Bacary CISSÉ (RECORD)

 

source:http://www.igfm.sn/henri-camara-a-coeur-ouvert-en-2002-il-y-avait-des-clans-dans-la-taniere/