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Le 8 septembre 2012, la vie de Cheikh Yérim Seck basculait dans une sombre histoire de viol prétendument commis sur l’étudiante Ndéye Aïssatou Tall, fille du magistrat Boubou Diouf Tall. Il a clamé son innocence, mais les collègues du père de son accusatrice l’ont condamné à 3 ans de prison, puis, après appel, à deux années de détention carcérale. Aujourd’hui, depuis le début de cette année 2014, il est en liberté conditionnelle, a repris ses activités et même s’en est approprié de nouvelles. Il a traversé cette épreuve avec dignité et courage, et surtout avec une extrême lucidité, celle dont Réné Char disait « qu‘elle était la brûlure la plus proche du soleil ». La lucidité et l’humilité comme viatiques de renaissance ? C’est en tout cas un homme rempli de sérénité et apaisé que Dakaractu est allé rencontrer en son domicile conjugal. Entretien exclusif et respectueux des conditions de sa liberté justement conditionnelle. Voici les confessions sans concessions de Cheikh Yérim Seck.
Dakaractu : Monsieur Seck, bonjour. 15 mois privé de détention, c’est long. Comment les avez-vous passés ?
Cheikh Yérim Seck : J’ai passé ce temps à faire le point sur ma vie. J’avais auparavant consacré 15 ans de ma vie à travailler, à courir sans jamais m’arrêter, pris entre le feu de mes activités de journaliste à Jeune Afrique, toujours entre deux avions, et mes obligations familiales. Je n’avais pas eu le temps de faire le point sur ma vie et réfléchir sur certaines questions essentielles. Mais 15 mois de retraite dans un endroit, cela amène à réfléchir, à penser, à revoir à la fois ses forces et ses faiblesses, ses erreurs… 15 mois, c’est aussi un long et grand moment de recueillement spirituel, 15 mois durant lesquels j’ai réfléchi sur ma religion, 15 mois où j’ai tenté de poser des actes d’adoration pour renouer avec Dieu. C’étaient les 15 mois les plus utiles de ma vie, 15 mois durant lesquels j’ai pu réfléchir sur mon pays, sur ses difficultés actuelles et sur son avenir. Ce furent 15 mois d’une grande utilité pour ma vie.
« J’ai vécu cette épreuve, je pense, dans la dignité ».
D.A. Avez-vous ressenti de la colère, de l’amertume, ou même un sentiment d’injustice ?
CYS. De la colère, non. Un sentiment d’injustice, c’est certain, c’est évident, dire le contraire serait mentir. Je ne suis pas d’ailleurs le seul. Toute l’opinion sénégalaise l’a ressenti. Au début, j’étais très affecté et puis j’ai compris que cette épreuve faisait partie de celles dont Dieu Seul a le secret. J’ai vécu cette épreuve avec philosophie, je pense l’avoir traversée avec dignité. Je ne suis pas en colère et pense plutôt à remercier Dieu qui m’a donné la force morale pour supporter tout cela.
D.A. Si on croit au principe qu’à toute chose, malheur est bon, que vous a apporté cette expérience carcérale ?
CYS. Cette expérience carcérale m’a apporté beaucoup de choses que je n’aurais jamais pu avoir sans elle. Nelson Mandela disait qu’un des avantages de la prison, c’est qu’elle donne le temps de réfléchir. J’ai donc beaucoup réfléchi. Sur moi-même, sur mon entourage, parce que la prison a aussi cette vertus… Elle permet de séparer la bonne graine de l’ivraie et de trier l’entourage. La prison t’apprend beaucoup de choses, que de ton vivant tu n’aurais jamais sues sans elle. La prison te permet aussi de saisir la réalité de la vie, tout simplement, de saisir l’homme dans sa complexité, dans son hypocrisie… C’est surtout un lieu de recueillement, d’isolement et un lieu d’introspection profonde. Par exemple, avant d’entrer en prison, je pensais qu’il me serait impossible de rester 15 minutes sans mon portable, pensant que le monde s’effondrerait. Je suis resté 15 mois en prison et le monde ne s’est pas arrêté pour autant. Depuis ma sortie de prison, je fais les choses plus calmement, plus doucement. La prison m’a appris à demeurer sur place, à savoir attendre.
D.A. Durant votre détention, vous avez pu observer la vie politique, sociale et économique du Sénégal. Vous avez rédigé un livre à paraître bientôt. Comment le journaliste que vous êtes a-t-il vécu cette période politique ouverte en mars 2012 ?
CYS. J’ai évidemment, de l’endroit où j’étais, observé la vie politique de mon pays. Je n’avais que cela à faire, regarder la télévision, égrener mon chapelet, lire des livres. J’ai pu m’imprégner de beaucoup d’idées. Je dois avouer avec une pointe d’amertume que je croyais cette nouvelle alternance allait définitivement engager la modernisation des institutions de notre pays. Ce n’est pas le cas. Je croyais qu’avoir un président de la République né après les indépendances allait révolutionner nos mœurs politiques. Ce n’est pas le cas. Je croyais qu’on allait rompre avec cette logique du partage partisan qui confine notre pays dans le sous-développement. Ce n’est pas le cas. Bref, j’ai beaucoup de choses à dire. Je croyais que l’instabilité gouvernementale, la conception immorale qu’on a du pouvoir allaient changer. Ce n’est pas le cas. Evidemment, il faut accorder à Macky Sall un préjugé favorable, lui accorder le bénéfice du doute. Mais il est en train de boucler deux ans au pouvoir, ça commence à faire beaucoup sur un mandat de 5 ans. Il a intérêt à redresser la barre au plus vite.
« Je ne suis plus le responsable idoine de Dakaractu, il y a une rédaction responsable qui s’occupe de tout et le fait très bien. »
D.A. Dakaractu.com, dont vous êtes co-fondateur, a tenu bon dans cette bourrasque, et s’est même consolidé à la tête des sites d’informations en ligne. Qu’avez-vous à dire à ceux qui l’ont maintenu à flots, et aux fidèles qui ont continué à faire confiance à Dakaractu ?
CYS. Je vais avant tout remercier très sincèrement Serigne Diagne qui est mon partenaire dans cette aventure journalistique. Il a été d’une extraordinaire efficacité pour maintenir le site au top, malgré le fait que beaucoup de gens avaient misé sur sa disparition. J’ai lu des forums où des gens écrivaient que Dakaractu était mort !!! C’est aussi cela le Sénégal, cette façon d’enterrer les gens de leur vivant. Serigne Diagne a démenti toutes les prévisions pessimistes. Je le remercie et le félicite très sincèrement, ainsi que toutes les personnes avec lesquelles il a travaillé. Aujourd’hui, je peux affirmer que Dakaractu a mieux fonctionné sans moi que quand j’y étais. Paradoxe de la vie, Dieu a la capacité de faire les choses comme il veut, de manière imprévisible. J’étais en prison et Dieu a mis la main sur tout ce que j’avais laissé dehors. Serigne Diagne et son équipe sont à féliciter, ils ont réussi à faire de Dakaractu peut-être pas le média le plus lu, mais certainement le plus influent. Tous les décideurs, les missions diplomatiques, les responsables, comme les férus d’informations, ouvrent dès le matin la fenêtre de Dakaractu. On doit cela à la perspicacité de toute l’équipe. C’est la raison pour laquelle je n’éprouve aucune nécessité de me mêler de près ou de loin à la marche actuelle de Dakaractu. Il fonctionne très bien sans moi et j’ai d’autres activités qui vont me maintenir dans d’autres sphères. Je ne suis plus le responsable idoine de Dakaractu, il y a une rédaction responsable qui s’occupe de tout et le fait très bien.
D.A. La médiatisation de votre affaire a-t-elle pu nuire à votre crédibilité de journaliste notamment ? Votre image a-t-elle été écornée ?
CYS. Cette affaire n’en a été une que parce que je suis célèbre. Maintenant, en ce qui concerne ma crédibilité de journaliste, c’est autre chose. Le journalisme, c’est un métier qui se pratique avec des codes, des règles et une déontologie, qui n’ont rien à voir avec cette affaire-là. C’est clair… Quant à ma réputation, la réputation d’un être humain se bâtit dans la durée. La vie est faite de hauts et de bas, je suis croyant et pense que la vie et ses péripéties relèvent du domaine de Dieu. Je pense avoir tiré les leçons de ce qui s’est passé. L’opinion publique m’importe certes. Mais ce qui m’importe plus, et avant tout, c’est mon rapport à Dieu, c’est mon rapport à ma famille et à mes proches, l’opinion publique sénégalaise viendra après. Je n’ai que 45 ans et ai encore, je l’espère, un long chemin à parcourir. Le reste est dans les mains de Dieu.
D.A. Votre autre « bébé », « Un café avec.. », entame sa saison 3, avec semble-t-il de nouveaux réalisateurs et de nouvelles perspectives. C’est un nouveau pari ?
CYS. Je suis le producteur exclusif d’« Un café avec… ». La société de productions Gelongal nous rejoint en tant que réalisateur de la série, parce qu’elle a un savoir-faire reconnu. J’ai décidé, dans un souci de modernisation et d’internationalisation de la série, de l’associer à cette aventure. Mon souci, c’est d’aligner cette série sur les standards internationaux, parce que je pense qu’il est temps qu’on se batte dans la cour des grands en matière cinématographique. C’est mon ambition. Ceux qui, jusque là, m’ont accompagné dans cette aventure sont toujours là avec moi, et nous travaillons ensemble à d’autres productions, qui seront connues très vite du grand public. « Un café avec… » est un autre miracle de Dieu. Beaucoup de gens pensaient que la série allait mourir, mais Boubacar Diallo, Boub’s pour le public, et toute son équipe, ont tenu bon, ont travaillé et sont arrivés à ce résultat-là. Pour ça, je les remercie vivement. Je remercie aussi le Bon Dieu, d’avoir mis la main sur cette affaire pendant que j’étais plongé dans la pénombre. Ce qui est communément vu, quand une personne entre en prison, c’est que tout se désagrège autour de lui. Par la grâce de Dieu, ce scénario catastrophe ne s’est pas réalisé. Loin de là.
D.A. Quelle dimension compte prendre « Un café avec.. » ?
CYS. La nouvelle dimension que nous comptons prendre, c’est de nous positionner clairement comme une des plus grandes séries d’Afrique. Mon modèle de séries, de cinéma, c’est le Nigéria, c’est l’Afrique du Sud. D’ailleurs le teasing de la Saison 3 a été tourné avec du matériel et des caméras mises aux normes internationales de production. Le Nigéria et l’Afrique du Sud sont mes points de repères, de références et de concurrence. Mon ambition est de diffuser « Un café avec … » sur de grandes chaînes de télévision internationales.
« Le jour où les citoyennetés seront participatives, actives et responsables, une bonne partie de nos problèmes trouveront des solutions »
D.A. Vous êtes, semble-t-il, engagé dans l’action citoyenne. Vous mettez sur pied un mouvement, une initiative populaire. Pourquoi faire ?
CYS. C’est un mouvement dénommé Citoyenneté Sénégal (C221). Pourquoi Citoyenneté Sénégal ? Pendant 54 ans, on a tout attendu des politiques qui n’ont rien fait, ni rien produit de fondamental. Le fait partisan a échoué un peu partout. Ce qui se passe en Ukraine, c’est le fait de citoyens. Le fait citoyen est la tendance lourde de la vie politique mondiale. Notre problème de développement est un problème citoyen. Le jour où les citoyens relèveront les défis, reprendront ce qui leur appartient, le jour où les citoyennetés seront participatives, actives et responsables, une bonne partie de nos problèmes seront en voie d’être réglés. J’ai donc pensé à cette fenêtre de réflexion qui permet à des Sénégalais qu’on n’entend pas de s’exprimer, de donner leur avis sur la marche du pays, mais aussi de s’engager pour faire bouger les choses.
D.A. En regard de l’affaire Cheikh Yérim Seck, quel accueil vous est réservé dans vos prises de contacts, visant à la mise en œuvre de cette initiative citoyenne ?
CYS. Quand je suis entré en prison, il y a eu 7 listes de soutien autour de mon nom qui se sont créées, comme des espaces citoyens à travers lesquels les gens s’exprimaient. Je n’ai fait que prolonger cette initiative, et aider à construire ce cercle dans lequel les gens se meuvent et réfléchissent. Ayant tous les profils, ils sont professeurs, enseignants, ingénieurs, médecins, étudiants… bref, des Sénégalais de divers horizons, avec lesquels je vais réfléchir et agir.
D.A. Cela vous donne-t-il envie de vous engager en politique ?
CYS. Tel qu’on la fait au Sénégal, avec son qualificatif de « politicienne », non, je ne crois pas. Mais, dans le sens de participation à la vie de la cité, pourquoi pas ? Ce qu’on fait, c’est de la citoyenneté, c’est responsabiliser les citoyens sur leurs propres devoirs. La citoyenneté responsable et participative, oui, cela m’intéresse. Car, nous sommes dans un monde où l’individu, l’entreprise, la communauté doivent être citoyens. John Fitzgerald Kennedy disait qu’il était désastreux que quelqu’un puisse naître dans un hôpital public, être instruit dans une école publique, et ne puisse rien faire pour son pays. Je crois qu’il est temps que nous essayions, en dehors de nos hommes politiques, de prendre en charge notre propre destin.
D.A. Comment vont vos épouses et vos enfants ? Elles semblent avoir été solides, solidaires et courageuses. Sont-elles constitutives de la foi, de la force et de la détermination qui vous habitent ?
CYS. C’est évident que si ma famille n’avait pas tenu bon, je n’aurais pas survécu à cette épreuve. C’est très clair. Si ma famille avait flanché, cette affaire m’aurait emporté. Ma force depuis le début de cette épreuve, c’est que ma famille dans sa globalité a tenu, m’a soutenu et a été solidaire tout le long du processus judiciaire. Même ceux qui ne s’entendaient pas forcément se sont retrouvés pour faire bloc, comme dans un réflexe de survie. C’est ce qui m’a permis de tenir. Je profite de cette occasion pour les remercier et les embrasser très tendrement.
« Pour tous ces gens qui ont souffert, je présente humblement mes excuses, car ces personnes ont été très affectées. »
D.A. Avez-vous des excuses à présenter au peuple sénégalais ?
CYS. J’ai des excuses à présenter à tous ceux qui m’aiment, et qui sont très nombreux. En prison, les gens faisaient tellement la queue pour me voir que partout où je suis passé, on a été obligé d’aménager des jours spéciaux de visite pour moi. Des gens que je ne connais pas, qui venaient de partout dans le pays, que je n‘avais jamais vus. A tous ces gens qui ont souffert, je présente humblement mes excuses, car ces personnes ont été très affectées.
D.A. Quels sont les signes d’amitié et de solidarité qui vous ont été témoignés durant votre incarcération et depuis votre libération ?
CYS. Les signes ont été nombreux, venant de toutes les sphères de la vie de notre pays, du chef de l’Etat au plus petit citoyen. Je vais d’ailleurs sacrifier à un devoir, sacré pour moi, celui d’écrire un texte de remerciements à tous ceux qui m’ont soutenu, parce qu’ils sont nombreux. Il y a eu le président Macky Sall et son épouse Marième Faye Sall qui m’ont concrètement assisté, il y a eu Abdoul Mbaye, Serigne Bass Abdou Khadre, lequel, lors des deux Tabaski que j’ai vécues en prison, a eu l’amabilité d’envoyer à mon épouse les deux béliers nécessaires aux sacrifices. Baba Diao Itoc mérite ma gratitude éternelle. Tout comme Abdou Mbow, Babacar Ngom, Babacar Touré, Babacar Diouf, Pape Ngagne Ndiaye… Des hommes comme comme Madické Niang, Cheikh Ousmane Diagne, Elhadji Mansour Mbaye, Me Mamadou Diop, Mbaye Guèye EMG se sont impliqués. Ils m’ont témoigné de la solidarité, de la compassion, de l’affection et de l’amitié, sans oublier de la générosité.
D.A. Comptez-vous agir de l’extérieur pour améliorer les conditions de détention des prisonniers sénégalais ?
CYS. Les conditions de détention dans ce pays sont indignes, inhumaines et scandaleuses. Je n’ai pas le droit d’avoir vécu la prison et de ne rien faire pour que cela change. C’est depuis la prison que j’ai créé « Secours Prisons », dont le site web est en fabrication. C’est une association qui va agir concrètement sur les conditions de vie des détenus. Nous voulons améliorer ces conditions, nous allons payer des avocats pour que les dossiers de longues détentions préventives soient traités dans les meilleurs délais. Nous y mettrons toute notre énergie, tout le poids de nos relations, car ces conditions carcérales sont de vrais scandales pour notre démocratie. « Secours Prisons » va être lancé dans les jours à venir. Nous allons tendre la main à l’administration pénitentiaire, pour l’aider à mieux remplir sa mission.
D.A. Est-il difficile de reprendre une vie normale après 15 mois de prison ? Vos repères ont-ils été brouillés ?
CYS. Mes repères, je dirais même que je les ai retrouvés. Je me suis recentré sur l’essentiel. L’essentiel dans la vie, c’est la famille. On peut être tenté de l’oublier, quand on est trop happé par la vie quotidienne et par nos activités. Des épreuves comme celle que j’ai vécue vous recentrent sur la famille, sur la foi, sur plus de spiritualité. Je ressens comme un bonheur, le goût de rester à la maison, de prendre du temps pour moi-même, pour ma famille, de réfléchir et de revivre… Tout simplement…
SOURCE: http://www.dakaractu.com/Exclusif-Cheikh-Yerim-Seck-Si-ma-famille-avait-flanche-cette-affaire-m-aurait-emporte_a63001.html