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Les dépositions des différents acteurs de l’affaire dite de malversations présumées à la mairie de Dakar permettent de comprendre dans quel contexte il a été décidé d’utiliser l’entête du Gie Keur Tabaar pour fabriquer de fausses factures. Révélations exclusives de "Libération".
Comment les responsables de la mairie de Dakar ont-ils été amenés à utiliser l’entête du GIE Keur Tabaar pour tenter de justifier les décaissements effectués en faveur de Khalifa Sall ? Les enquêteurs de la Division des investigations (DIC) ont tenté de percer le mystère.
Le Directeur administratif et financier de la mairie a été le premier à être interrogé à ce sujet. Libération est en mesure de révéler que Mbaye Touré s’est montré catégorique lorsque les enquêteurs lui ont demandé s’il connaissait le GIE en question : « Cette question fait partie des raisons qui justifient que cette Caisse est assimilée à un fonds politique. Parce que si le GIE Keur Tabaar fournissait les justificatifs, il appartenait aux différents percepteurs de réclamer l’appel d’offres ou la procédure de consultation.
Comme il est mentionné dans le rapport de l’IGE, les justificatifs produits pour ce qui concerne la gestion de cette Caisse d’avance mise à la disposition des différents maires qui se sont succédé, permettaient de se formaliser sur le plan comptable et budgétaire. En réalité, le GIE n’a jamais fourni de denrées alimentaires parce que la Caisse est considérée comme un fonds politique et donc, la justification n’a pas son importance. Personnellement, je ne connais que le nom de ce GIE. Je précise aussi que les pièces produites par ce GIE ne sont pas conformes à la procédure normale. C’est en faisant partie des prestataires de la mairie dont je ne me souviens pas du nom, qui nous a aidé à produire ces factures et si je me rappelle bien, ce GIE n’avait pu fournir l’acte constitutif. »
Mbaye Touré : « En réalité, le GIE n’a jamais fourni de denrées alimentaires... » Une version différente de celle de Yaya Bodian, chef comptable de la mairie : « J’ai connu le GIE depuis 2007 pour avoir eu à bénéficier de l’exécution de certaines commandes notamment pour la fourniture de matériels bureautiques et des produits d’entretien. De même que je savais que c’est le frère de madame Fatou Traoré, épouse Samb, secrétaire du DAF qui était le président mais je ne connais pas le nom de ce dernier. En 2010, Mbaye Touré m’a demandé de me rapprocher de Fatou Traoré afin de l’aider à justifier les dépenses effectuées sur cette Caisse d’avance. Pour ce faire, il m’a demandé de solliciter Madame Samb aux fins de la mise à disposition de l’entête de son GIE pour monter des factures. Ce que j’ai fait. Ainsi quand elle m’a remis l’en-tête, j’ai fait les brouillons de factures dont elle se chargeait personnellement de la saisie. L’idée d’y mettre comme nature du produit est venu du DAF, qui m’a suggéré le riz et le mil. Et pour les quantités et les coûts, je me chargeais de faire les combinaisons pour atteindre le plafond indiqué initialement à hauteur de 30 millions de FCfa par l’arrêté de création de la Caisse d’avance par l’ancien maire Pape Diop. »
Que veut dire « monter des factures » ? Bodian lâche : « C’est-à-dire établir des factures jusqu’à hauteur du plafond de montant prévu par la Caisse d’avance. Toutefois, je dois vous avouer que les factures en question ne provenaient pas d’un fournisseur extérieur pour avoir été montées par moi-même en interne avec l’aide de Fatou Traoré conformément aux instructions revues dans ce sens du DAF.
Après l’établissement des factures, Mme Traoré se chargeait d’y apposer sa signature ainsi que le cachet dudit GIE. Cependant, au bout de deux ans, elle m’a d’initiative laissé les cachets pour que je puisse les utiliser après établissement des factures. C’est vous dire que depuis lors, je me chargeais exclusivement de l’établissement des factures du GIE, de leur signature et de l’apposition des cachets. La dernière facture remonte au mois de décembre 2015 date de l’arrêt de l’alimentation de la Caisse d’avance. Après le passage de l’IGE, Mbaye Touré m’a ordonné de ne plus confectionner des factures pour justifier les dépenses de la Caisse d’avance. C’est maintenant que je me rends compte de la gravité des faits, particulièrement après le passage de l’IGE. »
Yaya Bodian : « C’est maintenant que je me rends compte que de la gravité des faits... »
Fatou Traoré, assistante du DAF et trésorière du GIE familial qui a cessé ces activités depuis des années, n’a pas cherché à kidnapper la vérité : « Je dois vous dire la vérité : parmi tous les collègues de la DAF de la ville de Dakar, seul Yaya Bodian était au courant de l’existence du GIE et de mes fonctions dans ledit groupement. Dans le courant de l’année 2010, Yaya Bodian m’avait approché pour me demander de bien vouloir lui ‘’prêter’’ l’en-tête de notre GIE aux fins de ‘’régularisation’’ d’une situation comptable de la Caisse d’avance.
Compte tenu de nos bons rapports et du fait que j’y voyais aucun inconvénient, j’ai accédé à sa demande sans me poser de questions. A chaque fois qu’il finissait d’établir une facture de régularisation avec l’en-tête de notre GIE, il venait me la présenter et j’y apposais le cachet que je continuais à garder par devers moi ainsi que ma signature. Par la suite, faute d’activité du GIE, j’avais fini par lui laisser définitivement le cachet en question pour lui éviter des allers-retours. En ma qualité de trésorière du GIE, je persiste à dire qu’il n’y a jamais eu de livraison de denrées alimentaires au profit de la Ville de Dakar. »
Lorsque les enquêteurs présentent à Fatou Traoré la facture numéro 06 du 27 mars 2015 établie au nom du GIE et produite par l’IGE dans son rapport, elle avoue : « Cette facture comporte bel et bien les données de notre GIE. Cependant, les caractères informatiques y utilisées ne sont pas ceux que j’avais initialement utilisés. C’est certainement Yaya Bodian qui a copié ces données à partir d’une machine. »
Frère de Fatou Traoré et président du GIE, Ibrahima Traoré a manifesté toute sa surprise aux enquêteurs : « Si dans des documents relatifs à ces transactions, ma signature est apposée, il s’agit d’un faux. Je n’ai plus signé de facture pour le compte du GIE Tabbar depuis 8 ans. Actuellement, mon patrimoine est constitué d’un lit, d’une coiffeuse, d’une armoire trois battants et de mes trois gamelles qui me servent d’outils de travail. Pour des raisons de pauvreté, j’ai envoyé mes enfants au village de mon épouse à Niakhar. Je suis vendeur de café Touba et mon frère qui était aussi membre du GIE, est marchand ambulant. »
Ibrahima Yatma Diaw, le chef de la division financière, de dire pour sa part : « Je ne connais ce GIE que de nom. Je dois vous avouer que depuis ma prise de service au sein de la ville de Dakar en 2002, j’ai entendu parler de ce GIE et de ses rapports avec la mairie de Dakar. Toutefois, je n’ai jamais eu l’occasion pendant mes quinze ans de service à rencontrer un membre ou un responsable de ce GIE. J’ai signé des procès-verbaux de réception de mil et de riz mais je dois avouer que je n’ai jamais été témoin de livraison de ces produits en question. De même, je suis incapable de vous donner les justificatifs quant à l’effectivité des livraisons effectuées par ce GIE au profit de la mairie dans le cadre de la Caisse d’avance. (...). La seule explication est que cette Caisse était gérée de manière exceptionnelle et cette gestion n’entrait pas dans le cadre de la gestion ordinaire de la ville de Dakar. »
Quid d’Amadou Moctar Diop, le coordonnateur de l’Inspection des services municipaux ? « J’ai été informé de l’existence de cette Caisse d’avance après mon passage à l’IGE. C’est au même moment que j’ai appris qu’elle servait de ‘’fonds politiques’’. Depuis lors, j’ai arrêté d’apposer ma signature sur quelque document que ce soit sans me prémunir d’un contrôle à priori. (...) Je n’ai jamais constaté la réalité physique de ces denrées. Compte tenu de mes occupations à la Piscine olympique (ndlr, il y était aussi directeur intérimaire), il m’était impossible de me rendre sur les lieux supposés être les réceptacles de ces denrées. »
Auditionné comme témoin Abdoulaye Diagne, le comptable matière qui a d’ailleurs repris les mêmes déclarations devant le juge, n’a pas mâché ses mots : « Je n’ai jamais reçu de factures relatives à la livraison de riz ou de mil et ce, depuis ma nomination. Je confirme ce que j’ai dit à l’IGE, je n’ai jamais reçu dans les magasins de la mairie qui sont sous ma responsabilité, une quelconque quantité de riz ou de mil ».
Cheikh Mbacké Guissé-Libération
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